Comme chaque année, voici les résultats de l’étude d’Oxfam + une remise en cause des modes de calcul utilisés par cette ONG britannique.

Mon commentaire

On peut faire dire n’importe aux chiffres et il y a des chiffres qui marquent ! Alors, les 1% des plus riches au monde possèdent-ils autant que les 99% de la population restante ?

Pour y voir plus clair, j’ai repris la dépêche AFP du Monde + un article critique de blog. L’étude d’Oxfam est clairement orientée vers la nécessité de mettre fin à “l’ère des paradis fiscaux”. Alexandre Delaigue, professeur d’économie à Lille I, se livre, lui, à une remise en cause des critères utilisés par Oxfam pour calculer la richesse.

Ce qui fait polémique renvoie donc à un affrontement idéologique sur ce qu’est la “richesse”. “C’est quoi être pauvre”,  “c’est quoi être riche” ?  Les inégalités sont-elles en train de croître ou de décroître ? Est-ce inacceptable ou une réalité sur laquelle nous n’avons pas prise ? La question des critères d’analyse et de jugement émerge ainsi, indissociable des enjeux économiques, mais aussi politiques et sociaux qui la sous-tendent.

                                 

La dépêche AFP Le Monde

L’ONG l’avait anticipé l’an dernier pour 2016. C’est arrivé encore plus vite que prévu courant 2015. Les 62 personnes les plus riches au monde possèdent autant que les 3,5 milliards les plus pauvres.

Le patrimoine cumulé des 1 % les plus riches du monde a dépassé l’an dernier celui des 99 % restants, selon une étude de l’ONG britannique Oxfam réalisée à l’approche du forum économique mondial de Davos (Suisse), et publiée lundi 18 janvier.

« L’écart entre la frange la plus riche et le reste de la population s’est creusé de façon spectaculaire au cours des douze derniers mois », constate l’ONG dans son étude.

Illustration du creusement spectaculaire des inégalités ces dernières années, l’ONG a calculé que « 62 personnes possèdent autant que la moitié la plus pauvre de la population mondiale », alors que « ce chiffre était de 388 il y a cinq ans ».

Mettre fin aux paradis fiscaux

Selon l’ONG, « depuis le début du XXIe siècle, la moitié la plus pauvre de l’humanité a bénéficié de moins de 1 % de l’augmentation totale des richesses mondiales, alors que les 1 % les plus riches se sont partagé la moitié de cette hausse ».

Pour faire face à cette croissance des inégalités, Oxfam appelle notamment à mettre un terme à « l’ère des paradis fiscaux ». « Nous devons interpeller les gouvernements, entreprises et élites économiques présents à Davos pour qu’ils s’engagent à mettre fin à l’ère des paradis fiscaux qui alimentent les inégalités mondiales et empêchent des centaines de millions de personnes de sortir de la pauvreté », explique Winnie Byanyima, la directrice générale d’Oxfam International, qui sera présente à Davos.

L’an dernier, plusieurs économistes avaient contesté la méthodologie utilisée par Oxfam. L’ONG avait défendu l’instrument de mesure utilisé dans cette étude : le patrimoine net, c’est-à-dire les actifs détenus moins les dettes.

Lire l’article sur Le Monde.fr

                                

Inégalités mondiales : les absurdes statistiques d’Oxfam

Les 1% les plus riches vont bientôt détenir 50% de la richesse mondiale, soit plus que les 99% restant”, “85 personnes détiennent autant que 3.5 milliards d’autres” voilà quelques uns des titres que vous avez pu lire hier suite à la publication d’un nouveau rapport de l’ONG Oxfam sur les inégalités mondiales. Le tout illustré d’infographies, ou de photos de bon goût mettant en abîme des Africains aux yeux couverts de mouches et des ploutocrates allumant leur gros cigare avec des billets de 100 dollars dans une Lamborghini plaquée or.

Les inégalités sont un sujet important, ce qui est une raison de les traiter sur la base de faits. Or les données d’Oxfam, fondées sur un rapport de la banque Credit Suisse dont ils ont prolongé les courbes, sont trompeuses. Pour afficher des chiffres choc, qui seront aisément repris sans regard critique dans toute la presse, l’ONG donne une image totalement trompeuse des inégalités. Le journaliste Félix Salmon dénonce régulièrement ces données et leur utilisation.

Qui sont les pauvres ?

Pour comprendre le problème, on peut regarder le graphique issu de l’étude de départ, qui montre où se trouvent les patrimoines élevés et bas dans le monde. On y voit tout de suite quelque chose de bizarre : il n’y a aucun Chinois parmi les 10% les plus pauvres du monde. Par contre (triangle en haut à gauche) environ 7.5% des 10% les plus pauvres sont… américains. Comment est-ce possible ?

C’est simple : la mesure utilisée est le patrimoine net, c’est-à-dire les actifs des personnes moins leurs dettes. Et de nombreux Américains sont endettés, ont donc un patrimoine net négatif, ce qui les rend plus pauvres que des gens qui n’ont rien du tout.

Précisons : selon ce mode de calcul, un étudiant américain à Harvard, qui a pris un crédit pour faire ses études, est plus pauvre qu’un réfugié syrien qui cherche à survivre dans les montagnes libanaises. La personne la plus pauvre du monde n’est pas un Africain affamé : c’est Jérôme Kerviel, qui depuis sa condamnation doit environ 5 milliards d’euros à la Société Générale, ce qui lui vaut le patrimoine net le plus bas du monde, à moins 5 milliards.

Les Américains qui ont pris un crédit auto sont plus pauvres que des Chinois qui n’ont rien du tout. Selon ce calcul, deux milliards de personnes ont un actif net négatif, ce qui veut dire que même si vous n’avez rien, vous appartenez déjà aux 70% les plus riches; mon neveu, qui joue avec une pièce de 50 centimes d’euros, se retrouve d’un coup plus riche que 2.5 milliards de personnes.

Qui sont les riches ?

A l’absurdité de prendre en compte l’actif net s’ajoute celle de faire un calcul au niveau mondial, agrégeant des situations nationales extrêmement différentes. Se poser la question des 1% les plus riches en France, ou aux USA, peut être pertinent; mais les “riches” au niveau mondial correspondent à des situations tellement différentes que ce groupe ne représente rien de précis. Pour entrer dans les 50% les plus riches au niveau mondial, il suffit d’un patrimoine net d’environ 3000 euros. Cette somme se trouve sur le livret A de nombreux Français qui n’ont probablement pas l’impression d’être parmi les plus riches.

De la même façon, appartenir aux 1% les plus riches mondialement dans ce rapport nécessite un patrimoine net de 650 000 euros. Ce n’est pas rien, bien évidemment. Mais cela signifie que la personne typique appartenant à cette catégorie n’est pas un jet-setter qui prend des bains de champagne en buvant des pina-colada avec des jeunes filles nommées Amber et Tiffany : c’est un retraité récent qui a acheté un appartement dans une grande ville française il y a une vingtaine d’années; ou le propriétaire d’un petit deux-pièces à Londres, et l’essentiel des propriétaires de résidences secondaires.

Il y a de bonnes chances, si vous êtes en train de lire cet article, que les 1%, ce soient vos papy et mamie. Si vous avez l’accès internet qui vous permet de vous indigner devant le rapport d’Oxfam, vous avez d’assez bonnes chances d’appartenir à ces mêmes riches que le rapport dénonce.

Projections hasardeuses

Pour prévoir l’évolution des inégalités de fortune au cours des prochaines années, le rapport s’appuie sur ce graphique qui prolonge les tendances depuis 2010 :

Carré Pluriel Marie Rebeyrolle Critique Oxfam 1

Sauf que, lorsqu’on prend le graphique sur plus longue période, on obtient ceci :

Carré Pluriel Marie Rebeyrolle Critique Oxfam 2

Ce qui pose deux problèmes. Premièrement, une illusion de précision : les données sur la richesse mondiale sont imprécises, et les fluctuations qu’on observe sont plus le résultat de cette imprécision que de réels changements. Deuxièmement, pourquoi choisir spécialement l’année 2010 comme déterminant des tendances ? Les mêmes données pourraient justifier le titre “les inégalités de fortunes mondiales sont revenues au niveau de l’an 2000” ce qui, vous en conviendrez, est un titre nettement moins porteur que “les 1% les plus riches vont devenir plus riche que tout le monde en 2016”, mais plus exact.

 Sensationnalisme nuisible

Soyons clairs : les inégalités sont un sujet important, et leur augmentation dans les pays développés justifie que l’on s’en préoccupe. Mais se fonder sur des statistiques dépourvues de sens, présentées uniquement pour produire un effet de choc médiatique, est contre-productif. Parce que cela encourage les stéréotypes. On entretient les clichés sur l’Afrique misérable et en guerre permanente, oubliant que la réalité de ce continent au cours des dernières années, c’est une croissance économique forte. Lorsque les pays émergents s’enrichissent, les inégalités de fortune y augmentent, parce que tout le monde ne s’y enrichit pas en même temps ; mais cela signifie que le nombre de pauvres diminue, ce qui est plutôt une bonne nouvelle.

Lorsque vos statistiques conduisent à considérer que Jérôme Kerviel est plus pauvre qu’un réfugié africain se noyant dans la Méditerranée; que pour réduire les inégalités de fortune mondiales, il faudrait supprimer l’aide au développement et la remplacer par une subvention aux étudiants de Harvard. Avez-vous vraiment éclairé le débat sur les inégalités? Les images-choc sont peut-être nécessaires aux prises de conscience, mais lorsqu’elles sont tellement faussées, elles risquent surtout de conduire à l’indifférence et l’ignorance.

Par Alexandre Delaigue, professeur d’économie à Lille I

Lire l’article sur le blog France Info.fr