Développer sa souplesse relationnelle, une dimension stratégique, sa capacité de transformation et d’action sont des objectifs « classiques » pour un coaching individuel en entreprise. En quoi l’anthropologie, qui analyse le fonctionnement des sociétés humaines, peut-elle alors être utile ?
Le coaching individuel offre une opportunité de prendre du recul par rapport à ses manières d’être, d’agir et de penser, l’ancrage dans la sphère professionnelle apportant une dimension opérationnelle à cette exploration de sa propre singularité. La demande y est souvent formulée en termes de « posture » et de « comportement ». Viennent ensuite des interrogations portant sur les jeux de relations à soi et aux autres semblant parfois inextricables. Car il peut être difficile de repérer ce qui s’y joue en termes d’identité, de pouvoir, de confiance, de projection, de croyance… ou de démêler ce qui vient de son histoire, des autres, de son environnement, de l’organisation de son entreprise ou encore de sa propre culture.
Le coaching explore ainsi des modes de relation construisant un individu dans sa singularité sociale, le domaine professionnel étant l’un des terrains de jeu de ces « rapports sociaux ». De sorte qu’en interrogeant, par le prisme de l’anthropologie, certaines des configurations de ces rapports sociaux, il devient possible d’identifier ce qui s’y actualise et comment s’y inscrire.
Trois leviers principaux sont alors à expérimenter.
Décrypter les codes relationnels
Le premier levier, qui s’offre au regard de chacun, est celui des « codes relationnels » définissant des manières de faire, d’être et d’être en relation. A qui demande-t-on un service ? Avec qui déjeune-t-on ? Quels sujets aborder ou éviter avec tel interlocuteur ?…
Ces codes racontent la « culture » d’une entreprise c’est-à-dire, sur un plan anthropologique, son fonctionnement réel (identités professionnelles, organisation du travail, mécanismes de pouvoir…) que divers systèmes de pensée (management, stratégie, communication…) se donnent pour objectif de justifier ou de changer. Ce qui explique d’ailleurs, par exemple, l’efficacité toute relative des « chartes de valeurs » créées ex nihilo.
Ces codes relationnels relèvent de 3 registres :
- Le registre hiérarchique structure le groupe en renvoyant à la position que chacun occupe dans l’organigramme. Il fonctionne essentiellement sur le mode de la distance et de la distinction. Mais sa lisibilité, et la protection qu’il procure contre les faux pas, dépend de celle de l’organigramme et de son adéquation à la réalité de l’organisation et des rapports de pouvoir qui s’y déploient.
- Le registre affinitaire est plus évanescent et discret. Il s’exprime d’avantage sur le mode de la proximité et de la complicité. Mais son apparence de convivialité facile ne doit pas faire illusion. Car on ne signifie pas n’importe comment la complicité et on ne devient pas ami avec n’importe qui en entreprise.
- Le registre conflictuel est le domaine des tensions, rapports de force et luttes de pouvoir. Il s’actualise dans 2 attitudes : l’évitement ou l’affrontement. L’évitement se traduit par l’instauration d’une distance encore plus grande que ce qu’exigerait, par exemple, le positionnement hiérarchique. L’affrontement, lui, peut être direct ou indirect (stratégies d’alliances et d’exclusion).
Dans le cadre d’un coaching, prendre le temps de décrypter ces codes induit au moins 2 bénéfices. Le premier est d’éviter les interprétations ou les projections qui brouillent la compréhension des comportements et des relations. Le second est de pouvoir choisir le comportement « juste », en fonction des situations et de ses interlocuteurs, sans tomber dans l’alternative insoluble « est-ce à moi ou à l’autre de changer ? ».
Identifier les composantes culturelles
Le deuxième levier, qui se combine avec le premier, est celui des « composantes culturelles » déterminant des manières de penser et d’agir propres à la culture de la société – française, chinoise, américaine… – dans laquelle s’insère une entreprise. A quoi servent les réunions ? Faut-il être débordé(e) ? A quels réseaux d’influence ou d’alliances participer ?…
Sur tous ces sujets, les codes relationnels d’une entreprise se réfèrent à ces composantes culturelles. Ce qu’apprend, par exemple, l’expérience de l’interculturel mettant à jour ce qui était jusqu’alors implicite dans ses propres habitudes et représentations par comparaison avec celles à l’œuvre dans une autre culture. De même, on comprend mieux pourquoi la mise en œuvre d’un management à l’anglo-saxonne, par exemple, continue de donner dans les entreprises françaises des résultats assez divers.
Parmi les composantes culturelles françaises, citons, par exemple, l’élitisme, l’individualisme et le perfectionnisme. Volontairement caricaturaux, ces exemples ont cependant le mérite de rappeler la corrélation directe entre les « idées » et leur traduction concrète dans le fonctionnement d’une société.
Les « systèmes de pensée » regroupent ainsi l’ensemble de ces idées et conceptions que les individus trouvent devant eux et qui s’impose plus ou moins à eux (conception de l’univers, de la société, de la personne humaine, classifications, croyances…). Ils sont de 2 ordres, cette distinction ne renvoyant pas à des objets empiriques distincts mais à 2 façons différentes de penser les mêmes faits :
- Le système symbolique répond à une exigence de sens. Il correspond à la production de savoirs qui systématisent et classifient. Le langage y joue un rôle essentiel puisque c’est dans le langage que l’on pense et qu’il impose donc un système de classement modelant les perceptions que les individus ont.
- Le système idéologique répond à une exigence de valeur. Il correspond à ce que l’on appelle des règles et des valeurs qui permettent de fonder et de justifier un ordre social. Son objectif est de valider la structure hiérarchique sociale organisant une société généralement selon 3 critères : l’âge, le sexe et l’appartenance sociale. Tout individu est ainsi porteur de règles et de valeurs en fonction de la place qu’il occupe dans la hiérarchie sociale.
Dans le cadre d’un coaching, intégrer ces composantes culturelles induit au moins 2 bénéfices. Le premier est d’arrêter d’invoquer, par exemple, le « manque de compétence » ou de « motivation » de ses interlocuteurs et d’interroger les systèmes de pensée à l’œuvre définissant, en particulier, l’identité de chacun selon la combinaison des critères d’âge, de sexe et d’appartenance sociale. Le second est de constater qu’il ne s’agit ni de se soumettre ni de nier ces composantes, mais bien de les prendre en compte si l’on souhaite les faire bouger.
Expérimenter une posture « d’observation participante »
Le troisième levier est à la fois la condition et la conséquence des 2 premiers puisqu’en décryptant les codes relationnels et en identifiant les composantes culturelles s’expérimente progressivement une posture « d’observation participante » reposant sur le fait de construire une distance – être à la fois dedans et dehors – afin de se repérer et d’agir dans son environnement de travail.
Dans le cadre d’un coaching, pratiquer cette posture de l’anthropologue se faisant ethnologue induit au moins 2 bénéfices. Le premier est de partir de la réalité « terrain » des relations à l’œuvre pour identifier l’organisation et le fonctionnement concrets de son environnement de travail. Le second est d’exercer son agilité relationnelle en observant directement les effets, pour soi et les autres, de certaines modifications dans ses manières d’être, d’agir ou de penser.
Décrypter le fonctionnement d’une entreprise dans ses codes relationnels, identifier les systèmes de pensée présents dans les composantes culturelles qui la sous-tendent, expérimenter la dynamique d’observation et d’action particulière à la posture d’observation participante, ces 3 leviers anthropologiques invitent à penser en tension, dans le coaching individuel, la singularité du sujet et son appartenance sociale. Ils développent ainsi la capacité du coaché à entrer dans des jeux de relations, perçus tour à tour sur le mode de la contrainte ou de l’ouverture au possible, rappelant que la singularité de chacun s’inscrit toujours et déjà dans de la relation à l’autre et aux autres.