Développer sa souplesse relationnelle, une dimension stratégique, sa capacité de transformation et d’action sont des objectifs « classiques » pour un coaching individuel en entreprise. En quoi l’anthropologie, qui analyse le fonctionnement des sociétés humaines, peut-elle alors être utile ?

Le coaching individuel offre l’opportunité d’interroger les jeux de relations dans lesquels il peut être difficile de démêler ce qui se joue en termes d’identité, de projection, de croyance… ou ce qui vient de son histoire, des autres ou de l’organisation de son entreprise. Par le prisme de l’anthropologie, il est alors possible d’explorer ce qui s’y actualise et comment s’y inscrire au travers de 3 leviers principaux.

Décrypter les codes relationnels

Le premier levier est celui des « codes relationnels » définissant des manières de faire, d’être et d’être en relation. A qui demande-t-on un service ? Avec qui déjeune-t-on ? Quels sujets aborder ou éviter avec tel interlocuteur ?…

Ces codes racontent la « culture » d’une entreprise c’est-à-dire son fonctionnement réel. Ils relèvent de 3 registres :

  1. Le registre hiérarchique structure le groupe en renvoyant à la position que chacun occupe dans l’organigramme. Il fonctionne essentiellement sur le mode de la distance et de la distinction. Mais sa lisibilité, et la protection qu’il procure contre les faux pas, dépend de celle de l’organigramme et de son adéquation à la réalité de l’organisation.
  2. Le registre affinitaire est plus évanescent et discret. Il s’exprime d’avantage sur le mode de la proximité et de la complicité. Mais son apparence de convivialité facile ne doit pas faire illusion. Car on ne signifie pas n’importe comment la complicité et on ne devient pas ami avec n’importe qui en entreprise.
  3. Le registre conflictuel est le domaine des luttes de pouvoir. Il s’actualise dans 2 attitudes. L’évitement, qui se traduit par l’instauration d’une distance encore plus grande que ce qu’exigerait, par exemple, le positionnement hiérarchique, et l’affrontement qui, lui, peut être direct ou indirect.

Dans le cadre d’un coaching, décrypter ces codes induit au moins 2 bénéfices. Le premier est d’éviter les projections qui brouillent la compréhension des relations. Le second est de pouvoir choisir le comportement « juste » sans tomber dans l’alternative insoluble « est-ce à moi ou à l’autre de changer ? ».

Identifier les composantes culturelles

Le deuxième levier, qui se combine avec le premier, est celui des « composantes culturelles » déterminant des manières de penser et d’agir propres à la culture de la société – française, chinoise, indienne… – dans laquelle s’insère une entreprise. A quoi servent les réunions ? Faut-il être débordé(e) ? A quels réseaux d’influence ou d’alliances participer ?…

Sur tous ces sujets, l’expérience de l’interculturel met à jour ce qui était jusqu’alors implicite dans ses propres habitudes et représentations par comparaison avec celles à l’œuvre dans une autre culture. C’est pourquoi, par exemple, le management à l’anglo-saxonne a connu des fortunes diverses dans les entreprises françaises ou, plus généralement, des tensions peuvent mettre en péril les fusions et rachats d’entreprises fondés sur la stricte rationalité business.

Ces composantes culturelles renvoient aux « systèmes de pensée » regroupant les idées et conceptions qui s’imposent plus ou moins aux individus (conception de l’univers, de la société, de la personne humaine, classifications, croyances…). Ils sont de 2 ordres renvoyant à 2 façons distinctes de penser les mêmes faits :

  1. Le système symbolique répond à une exigence de sens. Il correspond à la production de savoirs qui systématisent et classifient. Le langage y joue un rôle essentiel puisque c’est dans le langage que l’on pense et qu’il impose donc un système de classement modelant les perceptions que les individus ont.
  2. Le système idéologique répond à une exigence de valeur. Il correspond à ce que l’on appelle des règles et des valeurs qui permettent de fonder et de justifier un ordre social selon 3 critères : l’âge, le sexe et l’appartenance sociale.

Dans le cadre d’un coaching, intégrer ces composantes culturelles induit au moins 2 bénéfices. Le premier est d’arrêter d’invoquer, par exemple, le « manque de compétence » ou de « motivation » de ses interlocuteurs et d’interroger les systèmes de pensée à l’œuvre. Le second est de constater qu’il ne s’agit ni de se soumettre ni de nier ces composantes mais bien de les prendre en compte si l’on souhaite les faire bouger.

Expérimenter une posture d’observation participante

Le troisième levier est à la fois la condition et la conséquence des 2 premiers puisqu’en décryptant les codes relationnels et en identifiant les composantes culturelles s’expérimente progressivement une posture « d’observation participante » permettant de construire une distance – être à la fois dedans et dehors – afin de se repérer et d’agir dans son environnement de travail.

Dans le cadre d’un coaching, pratiquer cette observation participante induit au moins 2 bénéfices. Le premier est de partir de la réalité « terrain » des relations à l’œuvre pour identifier l’organisation et le fonctionnement concrets de son environnement de travail. Le second est d’exercer son agilité relationnelle en observant directement les effets, pour soi et les autres, de certaines modifications dans ses manières d’être, d’agir ou de penser.

Décrypter les codes relationnels, identifier les composantes culturelles, expérimenter l’observation participante, ces 3 leviers anthropologiques invitent à penser en tension, dans le coaching individuel, la singularité du sujet et son appartenance sociale. Ils développent ainsi la capacité du coaché à entrer dans des jeux de relations rappelant que la singularité de chacun s’inscrit toujours et déjà dans de la relation à l’autre et aux autres.

L’article sur Les Echos.fr