Apple et Facebook proposent de subventionner la congélation d’ovocytes de leurs salariées pour qu’elles puissent se consacrer à leur carrière.

Chirurgien et écrivain, Laurent Alexandre, spécialiste du transhumanisme, estime que la congélation d’ovocytes est une étape vers le choix des « meilleurs embryons », qui devrait être possible dans une dizaine d’années.

Subventionner la congélation d’ovocytes de leurs salariées pour leur permettre de se consacrer à leur carrière : la proposition de Facebook et Apple, révélée cette semaine par la chaîne de télévision NBC News, fait sensation aux Etats-Unis comme en France. Si certains y voient une avancée pour l’égalité des femmes, enfin libérées des contraintes de l’horloge biologique, cette annonce prouve également l’intérêt suscité par les techniques de congélation d’ovocytes outre-Atlantique – où elles auraient déjà été utilisées pour quelque 5.000 naissances à ce jour.

Pour le chirurgien urologue Laurent Alexandre, fondateur de Doctissimo et écrivain (son dernier livre, « La défaite du cancer », vient de paraître chez JC Lattès), l’essor de ces technologies et leur financement par de grandes entreprises illustrent l’avancée de l’idéologie transhumaniste, un courant de pensée estimant que la science doit permettre d’améliorer les capacités humaines.

Comment voyez-vous la proposition faite aux salariées d’Apple et Facebook de congeler leurs ovocytes ?

C’est une illustration concrète de la banalisation de la fécondation in vitro, qui est appelée à devenir le mode principal de fécondation. La congélation d’ovocytes est un pas de plus vers la sélection d’embryons, vers laquelle on se dirige aujourd’hui à toute vitesse. Pour y parvenir, il faudra bien passer par la fécondation in vitro. Dans la deuxième moitié de ce siècle, il sera vu comme incongru d’avoir une fécondation qui ne soit pas in vitro. Cela semblera aussi bizarre que d’accoucher à domicile sans péridurale.

Quelles seront les étapes de cette évolution ?

On voit bien les différents champs d’extension de la fécondation in vitro : au départ la stérilité, puis l’homosexualité, puis le diagnostic embryonnaire dans les cas de maladies rares, le stockage des ovocytes pour des raisons de confort, et après viendra la généralisation du séquençage et du choix des embryons à des fins « eugénistes 2.0 ». On assiste à un continuum dans la banalisation de la fécondation in vitro. La technologie ultime sera l’utérus artificiel, mais elle n’arrivera qu’après 2050.

Dans le cas d’Apple ou Facebook, l’argument est celui du confort, c’est à dire la possibilité de prolonger les limites de la fécondité…

Bien sûr, mais une fois que vous avez votre embryon stocké, cela vous donne la possibilité de faire de la sélection dans le futur. Ce n’est qu’une étape intermédiaire, car l’étape d’après sera de fabriquer des ovules à partir de cellules iPS (NDLR : cellules souches pluripotentes induites, capables de fabriquer des cellules de tout type), une technologie qui est déjà expérimentée chez l’animal et qui sera au point chez l’humain à partir de 2020-2025. Le stockage n’est en fait qu’une technologie intermédiaire, comme l’a été le Minitel par rapport à Internet. L’étape finale sera de fabriquer des ovocytes en grand nombre à partir de cellules de peau, et comme on a un nombre illimité de spermatozoïdes en face, de séquencer un nombre élevé d’embryons pour choisir le meilleur d’entre eux – « meilleur » étant bien sûr tout-à-fait subjectif..

Quel regard portez-vous sur cette évolution ?

Je pense que nous assistons à l’entrée en force de l’idéologie transhumaniste dans nos sociétés occidentales. La Californie étant l’épicentre de cette idéologie, il est normal que ce soit là-bas qu’elle soit plus en avance. Tout ceci n’est qu’un symptôme parmi des milliers d’autres que nos sociétés sont de plus en plus transhumanistes. Pour moi la percée de l’idéologie transhumaniste est la chose la plus fulgurante sur le plan politique actuellement : on va vers la fin du clivage gauche-droite, remplacé par un clivage entre transhumanistes et bio-conservateurs, alors même que 99 % des Français ne savent pas encore ce qu’est le transhumanisme. Les gens sont prêts à accepter n’importe quelle transgression technologique pour moins vieillir, moins souffrir et moins mourir. Je n’accepte pas cette évolution, mais elle me semble inévitable.

Dans le même temps, les réactions à la proposition d’Apple et Facebook sont en majorité négatives…

Attendez cinq minutes. Regardez les réactions sur le Pacs, le mariage gay, l’avortement, la pilule, les implants intra-cérébraux contre Parkinson… Le fait que 99 % des Français soient horrifiés aujourd’hui est juste le signe que 99 % des Français trouveront cela super dans dix ans.

Benoît George

Lire l’article sur Les Echos.fr