Le burn-out n’est pas reconnu comme une maladie professionnelle, même si des cas individuels le sont. En cause, des enjeux financiers.
« S’il y a une chose que je connais bien, c’est le burn-out des équipes médicales, notamment dans les hôpitaux », estimait la ministre de la santé, Agnès Buzyn, le 22 octobre sur LCI. Longtemps peu évoqué, le mot est lâché : le « burn-out », ou « syndrome d’épuisement professionnel », toucherait les professionnels de santé. « Jusqu’à très récemment, les risques psychosociaux concernant le personnel médical hospitalier étaient soit passés sous silence, soit non décelés, voire même niés », relatait un rapport publié en janvier de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur les hôpitaux publics.
Pour autant, pas question pour la ministre de mettre la reconnaissance de ce syndrome comme maladie professionnelle à l’ordre du jour : « Aujourd’hui, il s’avère que ce n’est pas une maladie. C’est un ensemble de symptômes et, donc, c’est très difficile de décider que c’est une maladie professionnelle. »
En mai, la Haute Autorité de santé, qu’elle présidait, avait rendu un avis défavorable à cette reconnaissance. La question refait pourtant régulièrement surface, au gré des actualités, souvent tragiques, des grèves aux suicides sur le lieu de travail.
Il ne figure pas dans les tableaux listant les maladies professionnelles
Le burn-out ne fait pas partie des affections listées dans les « tableaux de maladies professionnelles », au nombre de 175 pour le régime général. Ce sont eux qui définissent les maladies qui sont indemnisables.
« Dès lors que les conditions énoncées dans ces tableaux [délai de prise en charge, durée d’exposition au risque, etc.] sont remplies, la maladie est présumée professionnelle. Le salarié n’a donc pas à prouver qu’il existe un lien entre cette maladie et son travail », explique Me Audrey Pascal, avocate spécialiste en droit du travail et de la protection sociale. Une présomption qui facilite la prise en charge des malades.
Si le nombre des maladies reconnues par les caisses de l’Assurance-maladie a été décuplé depuis une trentaine d’années, les psychopathologies, dont le burn-out se réclame, restent les parents pauvres de l’indemnisation. Selon Morane Keim-Bagot, maître de conférences en droit privé à l’université Paris I-Panthéon Sorbonne, la création d’un tableau visant à reconnaître le burn-out comme une maladie professionnelle est « quasi-impossible en l’état de la législation ».
Les évolutions des tableaux sont le fruit d’une concertation entre l’administration et la commission spécialisée des pathologies professionnelles, au sein du conseil d’orientation des conditions de travail, une commission qui comprend des représentants des organisations syndicales de salariés et des organisations patronales.
« Le patronat n’acceptera jamais de fixer par tableau les conditions d’une reconnaissance automatique du burn-out, une pathologie multifactorielle dont beaucoup considèrent encore qu’elle est due à une fragilité personnelle », précise Mme Keim-Bagot.
Il est possible de le faire reconnaître pour des cas individuels
Malgré l’absence d’évolution des tableaux concernant les risques psychosociaux, une étape supplémentaire vers leur meilleure reconnaissance a été franchie en 2015 avec la loi relative au dialogue social et à l’emploi, dite « loi Rebsamen ». Celle-ci dispose que « les pathologies psychiques peuvent être reconnues comme maladies d’origine professionnelle ».
Cette loi sert notamment dans la procédure de reconnaissance complémentaire, un dispositif, dit « hors tableau », qui décide au cas par cas l’imputabilité ou non de la maladie d’un salarié à son travail. « Le salarié doit établir, devant un comité régional, que la maladie est, essentiellement et directement, causée par son travail habituel et qu’elle a entraîné le décès ou une incapacité permanente d’un taux au moins égal à 25 % », explique Me Pascal.
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Si la loi est claire, faire reconnaître son syndrome d’épuisement professionnel par cette procédure hors tableau relève du parcours du combattant, selon Morane Keim-Bagot :
« Le barème indicatif des accidents du travail et des maladies professionnelles, utilisé par les médecins-conseils pour fixer le taux des 25 %, n’a jamais été révisé et n’est pas adapté aux maladies psychiques. »
Traduire ce taux de 25 % en état de santé concret est loin d’être aisé. Dépression sévère, troubles cognitifs rendant impossible la concentration, difficulté à se lever… la liste des symptômes varie pour chaque plaignant. « De ce fait, la très grande majorité des dossiers sont écartés d’office », souligne Me Valérie Duez-Ruff, avocate en droit social et médiation.
En cas de rejet de la demande de reconnaissance complémentaire auprès des comités régionaux, le salarié peut aller devant le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS). La difficulté principale, à ce stade, est de prouver le lien essentiel et direct entre l’état du plaignant et son travail, s’il n’a pas déjà été reconnu par le comité.
« Il faut montrer que l’état d’épuisement n’est pas lié à un état antérieur, explique Me Rachel Saada, avocate spécialiste en droit du travail et de la protection sociale. J’établis donc systématiquement des liens entre la survenance de la dégradation de l’état de santé et les conditions de travail ou l’organisation du travail et la condition de santé de mon client. Comme le fait que son insomnie intervient après une restructuration. »
Une fois la maladie professionnelle reconnue, le salarié peut tenter de faire reconnaître la « faute inexcusable de l’employeur ». Dans ce cas, le coût de sa maladie sera à la charge de l’entreprise.
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De très gros enjeux sanitaires et financiers
« Le burn-out entraîne des arrêts maladie “classiques”, c’est-à-dire d’origine non professionnelle. Ces arrêts sont pris en charge par la Caisse primaire d’Assurance-maladie, financée par [tous], explique Me Pascal. En revanche, les cas de burn-out reconnus comme maladies d’origine professionnelle sont indemnisés par la branche “accidents du travail-maladie professionnelle” [AT-MP]. » Une branche financée par les cotisations dues par les employeurs.
Un ajout du burn-out dans les tableaux ou une reconnaissance complémentaire plus importante entraînerait indirectement une hausse du coût du travail.
« [Cette hausse] pourrait inciter les entreprises à agir préventivement, poursuit Me Pascal. Le taux de cotisation supporté par l’employeur pour le risque AT-MP est modulé en fonction de la “sinistralité” de l’entreprise : plus il y a d’accidents du travail et de maladies professionnelles, plus le taux de cotisation de l’entreprise est élevé. »
Cette prévention, coûteuse indirectement, pourrait éviter les coûts actuels liés à l’épuisement au travail, comme l’absentéisme ou le manque d’efficacité. « En 2012, l’Organisation internationale du travail chiffrait entre 3 % et 4 % du PIB des pays industrialisés le coût des effets négatifs du stress, “dont le burn-out est l’ultime phase” », rappelle Me Duez-Ruff.