Entretien avec François Begaudeau lors de la parution en 2008 de son « Antimanuel de littérature » dans lequel il réinvente le manuel scolaire.

Auteur de romans, dont Entre les Murs, de papiers dans les Cahiers du Cinéma ou So Foot, d’écrits plus théoriques aussi notamment dans la revue Inculte, on l’aperçoit régulièrement à la télévision, notamment durant ses apparitions hebdomadaires dans la Matinale de Canal +. Il y conseille chaque jeudi, des livres, toujours judicieusement. Sa manière d’en parler donne envie de lire : c’est déjà immense. Récemment on l’a aussi vu jouer dans l’adaptation d’Entre les murs – le beau film de Laurent Cantent qui a eu la Palme d’or à Cannes en mai 2008, et dépassé le million de spectateurs en France depuis sa sortie en septembre dernier.

Ces jours-ci, vient de sortir un nouveau livre écrit par Begaudeau, tout à fait inattendu, étonnant. Il s’agit d’un Antimanuel de littérature, édité dans une collection où l’on avait notamment pu lire l’Antimanuel d’économie de Bernard Maris. De quoi s’agit-il ? Un drôle de projet consistant à « définir la littérature ». Plus exactement, François Begaudeau a écrit le manuel dont rêvent sans doute tous les étudiants assoiffés de nouveauté, de différence, de distinction, mixant classiques et modernes, écriture littéraire et écriture rock. Il le fait, surtout, avec un ton délié et décomplexé, tout acide et filant. Un livre qui donne envie de retourner sur les bancs du lycée, sans jamais songer à la récré.

François Begaudeau a répondu récemment à quelques-unes de nos questions, juste avant la rentrée des classes :

D’où est venue l’idée de cet antimanuel ?
François Begaudeau : C’est une commande de l’éditeur et au départ je ne pensais pas avoir les épaules pour le faire. C’est un antimanuel mais c’est tout de même un manuel. Mon premier réflexe a été de faire appel à mes potes du collectif Inculte, qui n’ont pas voulu participer et m’ont rappelé qu’on faisait appel expressément à moi, qui suis prof, écrivain et critique. En réfléchissant, j’ai fini par trouver le ton. Une musique est venue : sérieuse et potache, qui incite à dire des choses pointues mais en décrispant les sujets.

T’étais-tu fixé une direction particulière en concevant l’antimanuel ?
François Begaudeau : L’enjeu était de parler de littérature en étant précis, mais sans être solennel. Je pratique des domaines qui sont fondamentalement aristocratiques : la littérature en France se vit comme une élite, pleine de poses. Je suis le produit de cela, par ma formation, par le fait que je sois publié par Verticales, maison d’édition qui est un peu le haut de gamme de la littérature. En France, il y a comme une difficulté à occuper les lieux aristocratiques avec une fibre démocratique et l’antimanuel est un geste de démocrate, de pédagogie aussi : il faut décomplexer les gens et les lecteurs devant cet objet extrêmement monumental qu’est la littérature. L’antimanuel est au cœur de cette problématique.

C’est un anti Lagarde et Michard (les manuels classiques des lycéens) ?
François Begaudeau : Plutôt qu’anti, je dirais que ce manuel est alter. Comme les antimondialistes se sont appelés altermondialistes. J’aurais pu n’y mettre que des contemporains, ou que des auteurs pop. Mais ce n’est pas ça qui me motive. Je trouvais plus intéressant, plus sincère et plus fort de juxtaposer Racine et Didier Wampas. C’est ma vie : j’ai grandi en découvrant de 15 à 18 ans la littérature et le rock, en même temps. Et pas n’importe quel le rock : le punk-rock, qui n’était pas du rock littéraire. J’écoutais les Clash, les Wampas, les Ramones tout en lisant Proust et Flaubert : deux mondes bien distincts mais qui me procuraient autant de plaisir l’un que l’autre. Dans l’Antimanuel, il y Stendhal, Racine, que j’adore, Flaubert mais aussi Didier Wampas, qui m’a complètement formé d’un point de vue de l’écriture. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas d’opposer les cultures, mais de parler dans la même phrase de Racine et d’une émission de télé, par exemple.

Tu écris des romans, des critiques, maintenant un antimanuel de littérature. Qu’est-ce qui relie tout cela ?
François Begaudeau : J’aime bien réfléchir aux choses sur lesquelles j’écris. J’ai beaucoup écrit pour des supports très différents les uns des autres, et je me suis plus récemment rapproché de la façon dont j’ai toujours eu envie d’écrire. Avec le collectif de la revue Inculte, on essaie de parler des choses en ayant une vision d’amateur, notamment de certains sujets nobles. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut les démystifier ou en rendre compte de manière sarcastique. Ce qui m’intéresse surtout, c’est la question suivante : comment se fait-il que l’on parle d’une certaine manière et que l’on n’écrit pas de la même manière ? J’ai essayé de liquéfier cette frontière dans mes trois derniers romans et j’essaie de le faire aussi avec mes écrits plus théoriques. Même si je peux parfois avoir un langage relevé, parce que j’ai une formation d’hypokhâgne, d’agrégation, je viens du rock, j’ai toujours adoré la langue de la rue, la langue des bandes de potes, les jurons. C’est aussi ma façon de parler et je voudrais que les livres que j’écris soient désormais à l’image de cette double généalogie.

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