Les institutions publiques, fascinées par le modèle de l’entreprise privée, ont du mal à prendre le recul nécessaire pour conjuguer leur histoire et le changement de leur mode de fonctionnement.

Marie Rebeyrolle a exercé des responsabilités dans de grandes entreprises publiques et privées qu’elle connaît de l’intérieur. Elle est docteur en anthropologie. Son livre « Utopie 8 heures par jour » raconte les dernières années de l’ENSPTT (Ecole nationale supérieure des postes et des télécommunications) dont elle a été directrice de la communication à partir de 1995.

L’Ecole a été créée à la fin du XIXe siècle et supprimée en 2002. Organisme de promotion et de formation des cadres dirigeants de La Poste et de France Télécom (la scolarité comportait deux années à l’ENA), elle a été ouverte sur la fin à toutes les entreprises de service public manageant des réseaux. L’intérêt de l’analyse anthropologique utilisée ici est de mettre en évidence le déchirement de ce type d’organisation, écartelée entre son ancrage dans le service public et son ambition de se conformer« au modèle triomphant de l’entreprise privée », supposé pouvoir aider les entreprises publiques à évoluer. « Elle préparait à la fonction publique tout en étant hantée par le modèle privé », comme le souligne l’anthropologue Marc Augé dans sa préface. D’où les incohérences stratégiques et managériales, les allers-retours, les tiraillements et les conflits internes, les querelles entre les anciens et les modernes, les jeux d’alliances et de pouvoir et leurs répercussions pernicieuses.

Injonctions contradictoires

Malgré tous ses efforts pour ressembler à une école de management moderne, l’ENSPTT n’a pas réussi à se défaire de son ancienne image « PTTouille » auprès des sponsors soucieux de rompre avec leur passé. Ils l’ont finalement lâchée pour recruter directement ou se tourner vers des formations commerciales ou des MBA classiques moins coûteux et standardisés. D’après l’auteur, il était pourtant possible « de créer une dynamique créative » en s’efforçant de mobiliser la capacité de chacun à intégrer des éléments interactifs, complémentaires et non contradictoires « au lieu de courir huit heures par jour après l’utopie d’un nouveau modèle de management. On aurait pu notamment associer le personnel à la définition du nouveau projet pour qu’il en soit partie prenante. De même, on aurait pu exiger de la part des partenaires d’être clairs au niveau des règles du jeu, ce qui n’a jamais été le cas ».

Il faut en effet souligner que l’école a fait en permanence l’objet d’injonctions contradictoires de la part des parents nourriciers, La Poste et France Télécom, aux prises aux mêmes fantasmes. Instructif pour les institutions en mal de changement. Certaines se reconnaîtront sans doute en parcourant le « petit abécédaire des codes relationnels » décrivant les us et coutumes en vigueur dans cette organisation.

Marie Rebeyrolle, Utopie 8 heures par jour, Editions L’Harmattan, 294 pages, 25,50 euros.

ANNIE BATLLE

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