La perspective de voir Hillary Clinton devenir la première femme présidente des Etats-Unis suscite des craintes irrationnelles et viscérales, qui affleurent dans son impopularité historique. Ferait-elle aussi peur si elle était un homme ?

Cela fait maintenant peu de doutes. Dans quelques semaines, Hillary Clinton devrait être la première femme à investir la Maison blanche. La première, aussi, à y entrer en suscitant aussi peu d’enthousiasme : au terme de la campagne, près de 60% des Américains disent ne pas l’apprécier – un record pour un candidat démocrate. Certes, Trump donne lui aussi des hauts le coeur à une majorité d’électeurs. Mais à la différence du milliardaire, Hillary Clinton est une candidate très conventionnelle – c’est une politicienne de carrière, à l’épais carnet d’adresses, dont le parcours, les convictions et les actes sont globalement conformes à la doxa démocrate. Bien sûr, elle a quelques casseroles. Mais ses emails ou ses discours à Wall Street ne suffisent pas à expliquer l’antipathie qu’elle inspire à une partie de l’électorat.

La convention républicaine de Cleveland a offert cet été un condensé de la haine anti-Hillary, affichée sans complexe dans les rues, dans l’arène ou sur les étals des petits vendeurs. Comme chez ce supporter républicain brandissant un panneau « Tramp vs Trump » (« une traînée contre Trump »). Ou sur ces T-shirts made in China vendus pour quelques dollars, avec différents slogans: « Hillary sucks but not like Monica », « Hillary’s a cunt, vote for Trump » (« Hillary est une salope, votez Trump »), « KFC Hillary Special : 2 fat thighs. 2 small breasts… left wing » (« Plat du jour KFC : 2 grosses cuisses, une petite poitrine… une aile gauche »). Ou ces badges, montrant un homme urinant sur son nom.

Des stéréotypes toujours aussi vivaces

Fort heureusement, la base électorale de Trump ne représente pas l’Amérique. Mais difficile de ne pas lire dans ces réactions viscérales l’angoisse que peut susciter la perspective de voire une femme accéder à la fonction suprême. Un sentiment dont les supporters de Trump n’ont pas l’exclusivité. 42% des Américains trouvent le pays trop « mou et féminin », a révélé récemment un sondage du Public Religion Research Institute. Certes, une écrasante majorité se dit prête à voter pour une femme – 92%, selon Gallup. Mais le faire est une autre histoire. « Je suis prêt à voter pour une femme, mais pas elle », entend-t-on. Motif ? « Elle n’est pas honnête, on ne peut pas lui faire confiance ». Des stéréotypes classiquement associés aux femmes dirigeantes. « Plus une femme dirigeante est perçue comme performante, plus elle est jugée égoïste, malhonnête, et froide », décrypte Ekaterina Netchaeva, de l’université Bocconi, dans une étude publiée l’an dernier. La sphère publique exacerbe encore ces sentiments : « une femme politique attirée par le pouvoir provoque des réactions affectives de mépris ou de dégoût », ont constaté les auteurs d’une étude de la Kennedy school d’Harvard publiée en 2010 après avoir interrogé 80 personnes (dont 53 femmes), tandis qu’un homme cherchant à prendre le pouvoir est vu comme « naturellement plus compétent et autoritaire ». 

Hillary Clinton a toujours fait l’objet d’un traitement particulier. Quand son mari était gouverneur de l’Arkansas, on lui reprochait de ne pas s’occuper de sa maison. Puis dans les années 1990, elle fut baptisée « féminazi » par les républicains, l’accusant de saper l’un des fondements de l’Amérique : la femme au foyer. Elle dût même se prêter à un concours de cuisine face à Barbara Bush (qu’elle gagna). « La First Lady a émasculé l’Amérique », écrivit ensuite une éditorialiste du magazine MacLeans, tandis que la revue Spy publia en 1993 en couverture un photomontage où elle apparaît en tenue SM avec une cravache assise sur le bureau présidentiel. Peu de personnalités politiques ont subi un tel acharnement. Comble de l’ironie : c’est avec l’affaire Lewinsky qu’elle gagna enfin ses lettres de noblesse. Cette humiliation la rendit subitement populaire et lui permit d’envisager la carrière politique à laquelle elle pouvait prétendre depuis longtemps.

L’angoisse d’être dirigé par une femme

Hillary Clinton ferait-elle aussi peur si elle était un homme ? Sans doute pas. De nombreux sociologues ont montré que la subordination à une femme est vécue comme un facteur susceptible d’affaiblir la virilité, perçue comme pouvant s’altérer, voir se perdre. « Contrairement à la féminité, vue comme le résultat d’une transition biologique naturelle et permanente, la virilité doit être gagnée et entretenue par des actions publiques objectives, écrivent ainsi les chercheurs de l’université de Floride du Sud. Cela génère beaucoup plus d’anxiété chez les hommes que chez les femmes ». Parmi les facteurs susceptibles de la corrompre : la crainte de perdre son emploi. Mais aussi celle d’être dirigé par une femme.

Compte tenu des appréhensions qu’elle inspire, il n’est pas surprenant qu’Hillary Clinton soit jugée plus sévèrement. Le traitement sexiste dont elle fait l’objet dans l’arène politique et les médias depuis 40 ans expliquerait même, selon certains, ce culte du secret qui lui est tant reproché. « On l’a attaquée sur ses costumes, ses cheveux, ses serre-têtes, son apparence, ses choix, et tout ce qu’elle disait était passé au peigne fin, se souvient Tammy Vigil, professeur à la Boston University. Elle est devenue défensive. Elle essaie de baisser la garde, mais c’est toujours là ». 

Sa victoire fera-t-elle tomber les préjugés ? C’est loin d’être évident. Des chercheurs de Stanford ont montré que les électeurs ayant voté pour Obama ont été ensuite plus enclins à embaucher un candidat blanc qu’un noir… « Avoir soutenu Obama est perçu comme une autorisation, un blanc-seing permettant de tenir des propos critiques sur les Noirs », écrit l’un des auteurs. Plus personne n’ose critiquer le brushing d’Hillary Clinton. Mais il n’est pas exclu que la question réapparaisse après le 8 novembre.

ELSA CONESA

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