Je suis ravie d’avoir été interviewée sur cette situation classique et épineuse : «Jalousie, coups bas, rivalité… Comment réagir quand un collègue cherche à vous nuire ?»
Rumeurs murmurées au manager, questions pièges en réunion, collègue qui joue au petit chef… Au bureau, les coups bas peuvent mener à une véritable guerre des tranchées. D’où l’importance de réagir vite mais avec diplomatie, pour éviter la spirale infinie de la rancœur.
Cela commence souvent par de petits riens. Un collègue qui a oublié, jure-t-il, de vous mettre en copie d’un mail. Un autre qui, en réunion, vous pose la question pointue dont vous lui disiez, dix minutes plus tôt, que vous la redoutiez. Un nouveau projet qu’on devait vous confier, dont tout le monde sait qu’il vous intéresse, mais qu’un collègue récupère in extremis à force de cafés avec votre manager. Ou plus sournois, une épreuve personnelle – divorce, maladie, problèmes financiers… – chuchotée à votre voisin de bureau, qu’il s’empresse d’aller répéter tant et si bien que le reste de l’équipe ne vous pense plus vraiment capable de gérer tel gros client.
Plus ils se multiplient, moins ces accrochages passent pour des maladresses. «Un coup bas, un vrai, provoque un sentiment de trahison et a un impact sur notre vie professionnelle», souligne la coach et docteure en anthropologie Marie Rebeyrolle, fondatrice du cabinet Carré Pluriel. Même menées avec le sourire et en des termes policés, ces attaques portent les germes d’une véritable guerre d’influence, aux conséquences potentiellement lourdes. Isoler un collègue, saboter son image aux yeux de l’équipe, jouer au petit chef pour grignoter sa confiance en lui… Rien de tout cela n’est anodin. Se laisser faire ou, a contrario, réagir trop vite, c’est prendre le risque d’un conflit larvé, ambiance tirs de snipers à travers l’open space et stratégies de manipulation dignes d’un épisode de la série Succession.
Opération déminage
Première étape pour l’éviter : prendre du recul. D’abord parce que nous ne sommes pas tous égaux face à la jalousie ou aux coups bas. Là où les uns contre-attaqueront aussitôt, les autres seront pris de courts, abattus voire complètement déprimés. Tout cela dépend de la personnalité, de l’histoire et des expériences personnelles de chacun. Prendre du recul sur ses propres réactions et leurs moteurs intimes, peut-être à l’aide d’un coach ou d’un psychologue, c’est se donner la possibilité de les équilibrer et de ne pas agir sous le seul coup de ses émotions.
D’autant plus que des biais inconscients peuvent nous amener à nous sentir agressés, alors qu’il n’en est rien. «Mieux vaut miser sur le crédit d’intention, en supposant nos collègues bien intentionnés, plutôt que sur le procès d’intention», encourage Marie Rebeyrolle. Un collègue oublie constamment de vous mettre en copie d’échanges importants ? Vous pouvez l’interroger, en adoptant une posture ouverte et une technique d’approche précise. «On rappelle les faits, on pose une question ouverte, puis on demande à son collègue de prendre un engagement», explique notre coach. Par exemple : «Je ne suis jamais en copie de ces échanges alors que je pense avoir besoin de l’être. Qu’en penses-tu ? Peut-on se mettre d’accord sur la marche à suivre à partir de maintenant ?» Le tout, avec le sourire et en rappelant qu’un meilleur fonctionnement serait profitable à tous.
Même chose avec cet autre collègue, pourtant votre égal, qui joue au petit chef, vous demande constamment si vous avez relancé tel client ou calé tel rendez-vous. On peut, avant de lui décocher une volée de bois vert lui laisser le bénéfice du doute. «Il cherche peut-être de l’aide pour organiser son propre travail, sans oser le dire clairement, suggère Marie Rebeyrolle. On peut d’abord lui demander pourquoi il nous pose ces questions, avant de lui dire ce qu’on ressent – «c’est intrusif», «je le vis comme si tu jouais au N+1» – et de lui demander d’arrêter.» Même en les connaissant bien, on peut toujours ignorer ce qui se passe dans la tête de ses voisins de bureau.
Analyser le terrain de conflit
Y a-t-il des explications objectives et rationnelles au comportement agressif ou sournois d’un collègue ? «Certains contextes créent du conflit, de façon systémique, souligne Marie Rebeyrolle. Un directeur incapable de trancher, une hiérarchie habituée à promouvoir ceux qui tirent dans les pattes des autres, des services dont les territoires se chevauchent de fait, une gestion RH fondée sur le up or out… Analyser tout cela permet de comprendre précisément ce qui se joue, de se souvenir que tout n’est pas de notre fait, donc de rassurer, mais aussi de choisir ses combats.»
Tous n’en valent pas la peine : on ne transforme pas le fonctionnement intrinsèque d’une entreprise en entrant en conflit avec un collègue. Pas plus qu’on ne change un salarié jaloux et irrationnel, accro à la rivalité, en une personnalité affable et raisonnable. Avant de contre-attaquer, il importe donc de décider pour chaque bataille si elle vaut la peine d’être menée. Avant, si oui, de préparer une tactique adaptée.
La stratégie du jeu de go
Pour gagner une partie d’échecs, on s’efforce d’abattre les pièces adverses et de vider le plateau. «Au bureau, on adopte la stratégie inverse, celle du jeu japonais de go : on part d’un plateau vierge sur lequel on avance ses pierres une à une. On essaie d’occuper le territoire, d’exister plus que l’autre. On évite l’affrontement, sans quoi on risque de s’enkyster dans une relation conflictuelle stérile et de passer, aux yeux de tout le monde, pour le collègue obsessionnel et insupportable.» Plutôt que de rendre coup pour coup, la meilleure tactique est donc de se déployer, soi. D’être le plus professionnel possible, d’investir son énergie dans son travail et de s’impliquer, plus encore que d’habitude, auprès du reste de l’équipe.
Alliances tactiques
C’est la clé pour faire face : le rival compte moins que les spectateurs. «L’enjeu primordial est de ne pas se retrouver dans un couloir, avertit Marie Rebeyrolle. Seul, on est perdu. On ne sort jamais d’une relation conflictuelle sans alliés. D’où l’importance d’approfondir les liens qui existent déjà et d’en tisser de nouveaux.» Prendre le temps de boire un café avec un collègue proche, déjeuner avec un membre d’un autre service, poser des questions, solliciter une aide ou des conseils sur ses dossiers en cours…
L’objectif est d’identifier les bonnes personnes, selon leur personnalité ou leur poste, pour tisser un réseau d’alliés, qui agiront le moment venu. «Ils pourront vous transmettre des informations, prendre votre défense en réunion ou argumenter pour vous en votre absence», énumère Marie Rebeyrolle. À condition de ne pas essayer de tous les dresser contre le collègue avec lequel il y a conflit. D’où l’importance de prendre du recul et de se détacher de ses émotions pour trouver le juste équilibre entre se défendre et écraser l’autre.