Pour séduire des consommateurs volages, adeptes du zapping, les marques ont trouvé la réponse : les pop-up stores.

Ces boutiques éphémères, qui fleurissent aujourd’hui partout, sont devenues un outil marketing incontournable.

« Aujourd’hui, si vous ne surprenez pas en permanence vos clients, vous ne durez pas ! » Directrice de la marque de chocolats Les Marquis de Ladurée, Safia Thomass n’a pas lésiné sur les moyens pour charmer les sens dans sa nouvelle boutique inaugurée au début du mois de décembre rue François-1er, à Paris. Lumière tamisée, décor tout en reflets, accentués par une pluie de pampilles de cristal qui tombe du plafond… l’ambiance invite à la dégustation gourmande. Vedettes des délices chocolatées qui s’exhibent sur le comptoir : les Diamants du marquis, une création de Johanna Le Pape, championne du monde des arts sucrés 2014. Mais attention, les amateurs n’ont que jusqu’à fin février pour s’en délecter. Car cet écrin de douceurs n’a pas vocation à durer. La boutique, tout comme cette friandise créée pour l’occasion, est… éphémère. Le mot est lâché. Le commerce n’échappe pas à l’ère de « l’instantané » et du « zapping ». Happenings, flash mobs, speed dating, messageries éphémères… On veut vivre des expériences fortes. Mais de préférence sans lendemains – c’est souvent encombrant, un lendemain. D’où le succès des pop-up stores. Quoi de mieux, en effet, pour attirer l’attention d’un consommateur volage, que de le convier en un lieu à durée de vie limitée ?

Lancées dans les années 2000 aux Etats-Unis, ces boutiques temporaires ont longtemps été utilisées surtout comme une arme de communication ponctuelle, voire exceptionnelle. « On vient faire du bruit puis on dégage », disait déjà dans les années 80, avec son sens habituel de la formule, Nicolas Hayek, le fondateur de Swatch, inspirateur de ces « guerrilla stores ». Aujourd’hui, les marques et les réseaux de distribution les intègrent de plus en plus dans leurs stratégies de distribution. « Nous n’excluons pas d’ouvrir un lieu permanent entièrement dédié aux présentations temporaires de toutes les marques et les collections de Ladurée », confirme Safia Thomass. Pérenniser l’éphémère, superbe oxymore…

A l’origine de ces nouvelles boutiques, on trouve le désir de reconquête des réseaux physiques face à la concurrence des cybercommerçants. « Les enseignes de magasins ont compris qu’elles avaient tout intérêt à capitaliser sur l’un de leurs principaux atouts : l’expérience d’achat », note le consultant Frank Rosenthal. Le premier acte s’est joué avec l’avènement du « fast fashion » dans le secteur de l’habillement. Zara en précurseur, puis ses rivaux, tous ont rompu avec la liturgie des deux sacro-saintes collections annuelles. Leurs magasins sont réapprovisionnés en permanence avec des articles à faible durée de vie, animés par des collections exceptionnelles dites « capsules ». A bien des égards, les pop-up stores radicalisent cette stratégie jusqu’à faire du point de vente lui-même un « magasin capsule ».

L’ « effet wow » pour bluffer le client

Les marques de grande consommation ont emboîté le pas. Après avoir ouvert pour la plupart des « flagships », elles creusent ce sillon à la recherche d’une relation plus directe avec leurs clients. Les pop-up ont débridé leur imagination et sont devenus de véritables couteaux suisses du marketing. Très en vogue : la fonction « effet wow ». Pour se faire remarquer, les marques fabriquent leurs propres décors, de plus en plus délirants. L’an dernier, à l’occasion des NBA All Star Games, Nike a installé au cœur de Manhattan, au coin de Bowery et de Great Jones Street, un pop-up store en forme de boîte à chaussures. A l’intérieur, on pouvait se familiariser avec la nouvelle application de personnalisation de sneakers. Dans le même genre, McDonald’s a posé ses valises à Melbourne avec une lunchbox géante. Objectif : promouvoir ses nouveaux wraps à base de viande australienne.

Lancer un nouveau produit, c’est l’usage le plus courant. Pour la présentation en première mondiale de sa machine à thé, Unilever a choisi de préempter un espace au BHV, à Paris, où l’appareil était mis en scène de juillet à octobre, autour d’une table digitale sensorielle conçue par l’artiste anglais James Alliban. Plus ambitieux, le brasseur Heineken s’est offert son propre magasin dans Paris où l’on peut toujours découvrir sa « tireuse » de bière, baptisée « SUB », avec sa version haut de gamme en cuivre. Une édition limitée, bien sûr ! Le magasin éphémère peut aussi envoyer un signal au client. En plein chantier de modernisation de son image quelque peu vieillotte, Damart tient boutique au centre commercial Parly 2 jusqu’au 16 février. Ses incontournables Thermolactyl y côtoient des sweats dessinés par la créatrice Isabelle Oziol de Pignol ou des charentaises « relookées » par la marque tendance Andrea Crews. Cas plus rare, le pop-up peut aussi attirer l’attention sur une expansion géographique. Il est alors un poisson pilote. Peu développée dans les grandes métropoles, l’enseigne à petits prix Kiabi s’est installée en septembre dernier pendant une semaine dans le très branché Marais parisien avec toute une panoplie digitale : tablettes en libre-service, vitrine virtuelle et casque de réalité augmentée Oculus Rift. Ikea, enseigne de périphérie, a donné un avant-goût de ce que pourrait être une implantation de centre-ville en ouvrant en novembre dernier, à Paris, pendant deux jours, une… épicerie suédoise regorgeant de spécialités de son pays d’origine. Le distributeur avait déjà sévi quelques mois plus tôt à Londres avec un « Breakfast in Bed café ». En plein cœur du quartier à la mode de Shoreditch, les Londoniens pouvaient, en pyjama, prendre un petit-déjeuner suédois… au lit, assistés par les spécialistes du sommeil de l’enseigne.

Parfois, il s’agit de tester de nouveaux merchandisings, voire des concepts de magasin tout entier. Habitat a occupé pendant sept mois 800 m2 dans le très chic centre commercial Passy Plaza, dans le xvie arrondissement, pour évaluer l’impact de ses nouvelles mises en scène de meubles. Pour Biocoop, qui testait depuis novembre dernier un magasin 100 % « en vrac », le verdict n’a pas traîné. Au bout d’un mois, la fréquentation dépassait de 40% les objectifs. Du coup, le distributeur de produits biologiques a décidé de prolonger l’opération. En attendant de passer à la vitesse supérieure, comme l’ont déjà fait d’autres distributeurs ailleurs en Europe du Nord.

Les cybercommerçants font leur com’

Un outil aussi polyvalent ne pouvait pas rester longtemps l’apanage des seuls réseaux physiques. De plus en plus de cybercommerçants veulent « tâter du magasin ». Certains s’en servent pour préparer leur saut dans le « brick and mortar ». Comment interpréter le point de vente éphémère ouvert par Amazon aux Quatre Temps, à La Défense – le premier en Europe –, autrement que comme un nouvel indice de la possible arrivée de l’Américain dans la distribution physique ? Une bonne manière, en tout cas, de faire monter la pression chez les concurrents ! Pour beaucoup de jeunes marques nées sur le Web, le pop-up est un moyen facile de rencontrer leurs clients « in real life ». Le chemisier Hast y recourt systématiquement une fois par an. « Nous n’avons pas l’intention de renoncer à notre modèle de distribution sur Internet, souligne Samy Ziani, l’un des cofondateurs. Mais pas question non plus de se priver, en complément, du potentiel des pop-up stores, particulièrement efficaces pour acquérir du trafic à un prix somme toute modique : 15 000 euros pour un mois en plein cœur de Saint-Germain-des-Prés pour un espace partagé avec deux autres marques. »

Canal + va encore plus loin. La chaîne payante a carrément industrialisé l’opération. « L’an dernier, nous avons lancé quatre vagues de 40 à 60 points de vente éphémères, dans les galeries de près de 200 centres commerciaux français », précise Stéphanie Fraise, directrice du réseau. L’opérateur veut ainsi reprendre à son compte la commercialisation d’une offre d’abonnements devenue de plus en plus sophistiquée et difficile à valoriser pour le vendeur d’un Auchan ou d’un Carrefour. Le tout à un prix accessible, car ces pop-up lui coûtent six fois moins cher au mètre carré que son magasin pérenne de Vélizy. Cette année, Canal + va tester des durées d’ouverture beaucoup plus longues. Brouillant encore un peu plus les cartes entre l’éphémère et le permanent. Et ce n’est probablement qu’un début. Le pop-up store est en train de devenir un nouveau pilier de la stratégie à géométrie variable des marques et enseignes. On avait compris que le commerce moderne était « omnicanal ». Le voici résolument engagé dans la… « multitemporalité ».

L’offre de lieux disponibles s’élargit

Si les magasins éphémères connaissent un tel développement, c’est aussi parce qu’ils profitent d’une nouvelle offre immobilière ad hoc. Depuis la fin des années 2010, des agences d’un nouveau type ont vu le jour, qui se font fort de recenser tous les locaux commerciaux vacants susceptibles d’accueillir des pop-up stores. La crise a multiplié les disponibilités en accélérant la rotation des boutiques.Les propriétaires ont vite compris l’avantage financier qu’ils pouvaient tirer de ce nouveau créneau. Entre-temps, l’offre locative s’est étendue à des lieux alternatifs comme des galeries d’art, qui, entre deux expositions, peuvent privatiser avec profit leurs espaces. Surtout s’ils se trouvent dans des quartiers très demandés comme le Marais. Un coin de Paris où des lieux permanents se destinent à accueillir des boutiques… éphémères, en rotation. Mais la grande nouveauté, c’est l’arrivée sur ce marché des centres commerciaux. « Dans la foulée d’Unibail, la plupart des foncières ont créé leur département spécialisé dans l’accueil de boutiques éphémères », précise Thierry Bisseliches, fondateur de l’agence My Pop-Up Store. Installés dans les allées centrales, ces points de vente leur permettent d’animer leurs centres tout en générant une source de revenus supplémentaires. Cette nouvelle offre permet aussi aux marques de monter une opération « pop-up » sur toute la France en très peu de temps.

Stefano Lupieri

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