Tel le dieu romain Janus, représenté par un double visage, Emmanuel Macron alterne deux faces dans son expression du pouvoir.

Pour représenter sa vision de la fonction présidentielle, Emmanuel Macron avait annoncé qu’il serait un chef de l’État “jupitérien”.

Dans la séquence séquence politique du 13 au 20 juillet (recadrage du général Pierre de Villiers, visite-surprise aux députés de la majorité, passage sur le Tour de France et déplacement à la base aérienne d’Istres), il a alterné deux visages : celui d’un Jupiter courroucé lançant sa foudre à ceux qui dévient, et celui d’un Jupiter protecteur.

Un sondage Ifop-JJD du 23 juillet indique une chute de 10 points du président à 54 % d’opinions positives.

Sa référence à l’incarnation “jupitérienne” de l’autorité reste-t-elle efficace, à moins que le dieu  romain à double visage, Janus, n’ait fait son apparition ?

Foudre jupitérienne

Durant la traditionnelle garden-party du 13 juillet en l’honneur des armées, Emmanuel Macron déclare : “Il n’est pas digne d’étaler certains débats sur la place publique… Je suis votre chef”.

“Parce que tout le monde a ses insuffisances, personne ne mérite d’être aveuglement suivi”, répond le général de Villiers, le lendemain sur Facebook. “Si quelque chose oppose le chef d’état-major des armées au président de la République, le chef d’état-major des armées change”, conclut le président dans “Le JDD du 16 juillet. Dont acte.

Certains ont vu dans ce recadrage l’expression d’un pouvoir légitime ou la nécessité de rappeler les lignes rouges, quand d’autres ont critiqué une démonstration d’autoritarisme, voire une faute politique.

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Sur un plan anthropologique, force est de constater que la base même des interactions sociales, qui est de ne jamais faire “perdre la face” à quelqu’un, n’a pas été suivie, certainement à dessein, par Emmanuel Macron.

Et cela, qu’il s’agisse du contexte de son discours (en présence des armées et des médias), de son contenu (mixant jugement et réaffirmation de son statut de chef), ou de son non-verbal (mouvements du corps et de la tête, mains s’accrochant au pupitre ou visage crispé par exemple).

Quand bien même l’on pourrait se demander si le général de Villiers n’aurait pas enclenché la partie, sa déclaration qu’il ne se laisserait pas “baiser comme ça” ayant cependant été faite dans le huis clos de la commission défense.

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La foudre jupitérienne est donc tombée, terrassant le général aux cinq étoiles. Reste qu’à ce jeu “des représailles brutales”, qui permet “de dénier à l’offenseur son statut d’interactant”, il est aussi question de “sauver la face”, si bien que le “prix est généralement élevé pour toutes les parties concernées” (Erving Goffman, Les rites d’interaction, p.24).

Ce qu’une certaine fébrilité présidentielle a laissé entrevoir, de sorte qu’à ce jeu du “touché-coulé”, il est peu probable qu’il y ait eu un vainqueur.

Reste également que cette démonstration de pouvoir semble s’opposer à l’incarnation jupitérienne de l’autorité revendiquée par Emmanuel Macron. De là à conclure que le président serait en phase d’ajustement, il n’y aurait qu’un pas. Ce qui peut s’entendre.

Même s’il a déjà fait preuve d’une spontanéité ou d’une absence de distanciation assez surprenantes, par exemple au soir du premier tour des présidentielles, lorsqu’il s’exclama “Merci, mes amis, nous l’avons fait”, alors que le second tour restait à gagner, il est vrai, contre le Front national.

Quoi qu’il en soit, une interrogation transparaît : la foudre jupitérienne est-elle le meilleur moyen d’incarner le pouvoir jupitérien ?

Petits selfies entre amis

À peine les festivités du 14 Juillet terminées, et l’affaire de Villiers réglée en coulisses, qu’une grogne des députés LREM s’amplifie. Il est vrai qu’ils sont régulièrement qualifiés de novices, voire de “godillots”. De même, Jean-Jacques Bridey, président LREM de la commission Défense, regrette le choix des 850 millions d’économies. Enfin, les débats sur la loi de “moralisation de la vie politique”, rebaptisée loi sur “la confiance dans l’action publique”, en font grincer des dents plus d’un.

Emmanuel Macron décide donc d’une visite-surprise aux députés de sa majorité le 18 juillet au soir. La foudre jupitérienne va-t-elle encore s’abattre pour recadrer les fauteurs de trouble et éviter l’émergence de frondeurs ? Au contraire, c’est l’occasion pour lui de remettre en scène sa légitimité, sa popularité et sa proximité peut-être écornées.

Le changement de registre est affiché : “Il n’y a pas de caporalisme, il n’y a pas d’ordre jupitérien, comme diraient certains”. Et les expressions phares du candidat En Marche ! réapparaissent : “Il y a une exigence commune. Mais après, c’est à vous de la réinventer… Il faut garder cette culture du respect mutuel, du travail avec le gouvernement, parce que ce sera en soi un changement profond… Et ça, c’est à vous de le fabriquer”.

Emmanuel Macron, souriant et détendu, se pose en garant du sens et catalyseur des forces de changement. Jupiter est de retour dans sa “verticalité”, point de repère pour ses marcheurs, véritables acteurs de la révolution en marche.

Le souvenir de ce moment privilégié sera d’ailleurs immortalisé par la publication de nombreux selfies avec les députés. Nombre de ces derniers, qui ont “donné un an de leur vie pour lui”, voyant enfin leurs voeux s’exaucer de rencontrer leur président.

Emmanuel Macron alterne donc deux faces dans l’exercice du pouvoir. Celle d’un Jupiter courroucé lançant sa foudre à ceux qui dévient, et celle d’un Jupiter protecteur face à ses députés. Ce qui pourrait l’apparenter à Janus, représenté par un double visage.

Un Janus qui tiendrait cependant plus de Dr Jekyll et Mr Hyde que du dieu romain, tourné vers le dedans et le dehors, le passé et le futur, dieu des commencements et promoteur de toute initiative, père des dieux y compris Jupiter.

Fin de partie

En ce 19 juillet, le timing est parfait : annonce de la démission du général de Villiers, nomination du général Lecointre en conseil des ministres, déplacement sur le Tour de France d’Emmanuel Macron relayé sur les réseaux par une vidéo le montrant sautant d’hélicoptère pour aller saluer au pas de course pompiers et gendarmes.

S’ajoutent la traditionnelle photo avec des hôtesses ou le conseil à Romain Bardet, qui n’accèdera malheureusement qu’à la troisième place du podium : “Celui qui gagnera ce n’est pas le meilleur, c’est celui qui en a le plus envie”, qui n’est pas sans rappeler sa phrase à quinze jours du premier tour des présidentielles.

Suit l’interview sur le plateau de Vélo Club , durant laquelle le président accepte de répondre à une question sur la démission du général de Villiers, précisant : “Je veux rendre hommage au général de Villiers… Je veux vraiment lui rendre hommage”.

Avant de souligner que le budget de la Défense sera augmenté en 2018 pour atteindre 2 % du PIB en 2025, conformément à sa promesse de campagne (sachant que la pomme de discorde ne portait pas sur ce sujet, mais sur une réduction budgétaire en 2017).

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Puis d’enchaîner sur le fait que c’est à la ministre des Armées et non au chef d’état-major de défendre le budget, et de conclure : “C’est comme ça que la République fonctionne bien”. Le président déroge ainsi au principe auquel il s’était strictement tenu jusqu’à présent de ne pas commenter l’actualité, et encore moins de mélanger les genres, même si vélo et politique peuvent faire bon ménage.

Certains journalistes ne manquant alors pas de le relever, rappelant qu’il n’a pas voulu donner d’interview à l’occasion du 14 juillet au motif que sa “pensée complexe” se prêterait mal au jeu des questions-réponses avec les journalistes.

Emmanuel Macron prend donc le risque de brouiller ses codes d’expression du pouvoir. La figure de Janus réapparaît dans cette double posture d’un président tourné vers l’Olympe et devant en même temps régler certaines affaires humaines, tendant à démontrer que l’incarnation jupitérienne de l’autorité serait plus compliquée à tenir qu’il n’y paraît.

Enfin, en ce 20 juillet, nouveau jour, même objectif. Le président annule sa participation aux États généraux de l’alimentation pour se rendre à la base aérienne d’Istres . Il s’agit de clore une bonne fois pour toutes le sujet de Villiers, de renouer le dialogue avec la “grande Muette”, de réaffirmer son rôle de chef des armées, garant de la sécurité des militaires et tenant ses promesses, précisant même “qu’aucun budget autre que celui des armées ne sera augmenté” en 2018.

Emmanuel Macron apparaît souriant, à l’écoute et reste plus longtemps que prévu. Il revêt l’habit militaire, comme il l’avait déjà fait lors de sa visite du sous-marin “Le Terrible” le 4 juillet. Vidéos, photos et posts rythment cette journée. La communication jupitérienne est de retour, qui enchaîne deux jours plus tard sur l’annonce de l’invitation de Rihanna à l’Élysée le 26 juillet pour aborder le sujet de l’éducation des enfants.

Incarnation  du pouvoir ou exercice du pouvoir

Cette séquence politique du 13 au 20 juillet met à jour certaines difficultés d’Emmanuel Macron à tenir ensemble incarnation et exercice du pouvoir. Face à la contradiction, il semble en effet prêt à faire ou refaire la démonstration de son autorité dont il dit pourtant qu’elle “est reconnue parce qu’elle n’a pas besoin d’être démontrée”.

Certes, ces difficultés peuvent être en partie liées à la fonction présidentielle définie par la Ve République. Reste qu’exercer le pouvoir ne se réduit pas à l’incarner. Cela pourrait même se révéler dangereux, l’anthropologie nous apprenant que les “rois divins”, incarnation de la nature, et à ce titre tout-puissants, étaient mis à mort symboliquement au moindre signe de faiblesse.

Autrement dit, ses qualités de stratège et négociateur, sa jeunesse et sa séduction, essentielles pour développer ses réseaux et accéder au pouvoir, demanderaient aujourd’hui à être actualisées dans l’exercice du pouvoir présidentiel. La possibilité de se sentir “béni des dieux” ou de “croire en son destin” pouvant ne pas faciliter cette expérience d’avoir à affronter en même temps qu’intégrer la conflictualité des rapports de pouvoir.

La figure de Janus revient ainsi, interrogeant l’émergence d’une faille portée par son double visage. Une faille à masquer, tenter de combler ou, au contraire, découvrir comme une expression de la réalité humaine, de la conflictualité des rapports de pouvoir et, plus généralement, des relations à soi et aux autres.

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