Malgré l’échec de la campagne de Benoît Hamon, l’idée d’un revenu universel continuera sans doute à inspirer les politiques de droite comme de gauche. Que ce soit pour rationaliser les prestations ou pour combler les trous de la couverture sociale.

Dans les derniers mètres avant l’élection, le revenu universel a mangé la poussière avec le candidat qui la porte, Benoît Hamon . Il y a pourtant fort à parier que cette promesse qui avait marqué le début de la campagne va continuer à tournoyer dans les esprits dans les prochaines années, et qu’elle inspirera les politiques sociales à venir, de droite ou de gauche. Car, tout en étant révolutionnaire dans sa philosophie, elle est la suite logique des réformes engagées depuis quarante ans, de la création du RMI en 1988 à celle de la prime d’activité en 2016.

C’est le revenu universel qui a permis à l’outsider Hamon de s’imposer dans la primaire socialiste fin janvier. Cette idée a eu l’effet d’un souffle d’air frais sur des débats convenus. Balayant les questions de financement, le candidat a expliqué que tous les Français auraient à terme droit à 750 euros par mois, qu’ils travaillent ou non, dès 18 ans.

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La mesure a immédiatement été critiquée pour son coût , alors évalué à 380 milliards d’euros. Mais aux yeux de Benoît Hamon, qui a en tête un scénario pessimiste sur l’avenir du travail, c’est le prix à payer pour éviter que la société ne se délite. Demain, professe-t-il, les emplois seront de plus en plus occupés par des robots. Un grand nombre de personnes se retrouveront les bras ballants. On ne peut pas partager le travail avec les machines ? Alors partageons ses fruits.

Après la primaire, Benoît Hamon s’est entouré d’économistes comme Thomas Piketty ou Julia Cagé, qui l’ont aidé à dégrossir son projet de revenu universel. Il faudrait désormais parler d’un « revenu de base », puisqu’il est attribué sous conditions de ressources. Il cible les personnes qui ne travaillent pas et, dans sa version dégressive, les travailleurs qui gagnent moins de 1,9 smic par mois (2.200 euros net). Cela n’en serait pas moins une révolution : un jeune de 18 ans inactif toucherait le maximum, 600 euros par mois, et n’aurait pas besoin de chercher un emploi pour conserver cette allocation. Un minimum de subsistance vu comme un droit de l’homme, en quelque sorte.

A rebours des usages

Cela va à l’encontre des usages. Aujourd’hui, pour être aidé, il faut démontrer son utilité dans le système productif (vous êtes un investissement), ou bien son incapacité (vous êtes un risque). Si vous avez cotisé, vous aurez du chômage. Si vous êtes étudiant, on vous fera des tarifs. Si vous êtes invalide, on vous dispensera. Mais si vous êtes « pauvre », vous ne correspondez à aucun de ces critères et on vous versera le revenu de solidarité active à contrecoeur. Il vous faudra remplir une déclaration de ressources tous les trimestres, signer un projet personnalisé d’accès à l’emploi ou un contrat d’insertion sociale.

Personne n’a envie de vivre au RSA, car ne pas avoir de travail est vécu comme une anomalie, et dépendre des subsides publics comme une honte. Cependant, il n’est pas certain que la société française soit prête à abandonner cette représentation du monde pour offrir sans contrepartie à chacun un temps de pause dans sa vie, une rémunération minimale pour des activités bénévoles, voire un « droit à la paresse » – diverses acceptions du revenu universel de base.

Le travail demeure le moyen le plus efficace de gagner sa vie. C’est aussi le socle de nombreux droits sociaux, du chômage à la retraite. Il garantit une place dans le collectif, un statut social, et avec un peu de chance il est une source de satisfaction. Y renoncer, en perspective d’un futur amer ? C’est un saut dans l’inconnu considérable, avec un coût élevé à la clef.

C’est pourquoi les opposants au revenu universel sont nombreux, jusque dans les rangs du Parti socialiste, à commencer par Manuel Valls. A l’extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon n’en veut pas non plus : pour lui, c’est priorité au SMIC, et son « allocation d’autonomie » de 800 euros pour les jeunes est placée sous conditions de ressources et versée pendant trois ans. Emmanuel Macron préfère étendre le droit au chômage aux indépendants – une protection universelle, tout de même. François Fillon promet de rationaliser les prestations, en fusionnant la prime d’activité, le revenu de solidarité active et les aides au logement. Mais son « allocation sociale unique » serait suspendue si les efforts pour trouver un emploi sont insuffisants.

Un filet pour les « NEET »

Hamon est bien seul. Néanmoins, derrière la volonté des uns de rationaliser les prestations et des autres de combler les trous de la couverture sociale, on voit pointer l’esquisse d’un revenu pour tous. Il y a déjà eu des glissements de terrain. La gauche a cherché à ne plus stigmatiser les bénéficiaires d’aides sociales, et à accroître le recours. D’où l’éclatant succès de la prime d’activité des travailleurs pauvres et modestes, qui touche déjà 70 % de sa cible un an après sa création, là où la prestation précédente plafonnait à un tiers. Tout est automatisé, la Caisse d’allocations familiales vous la propose, le formulaire est en ligne, nul besoin de produire des justificatifs a priori. Une révolution culturelle. Surtout, la prime d’activité a été étendue aux 18-25 ans.

La prochaine étape, c’est de protéger les « NEET », ces jeunes « ni en emploi, ni en études, ni en formation », en leur ouvrant le droit au RSA dès 18 ans. Car l’exclusion des circuits économiques de cette population (1,8 million de 15-29 ans) est une bombe sociale. Mais leur verser ce qui pourrait être le germe d’un revenu universel ne sera pas suffisant. Car, comme tous les allocataires, ils ne souffrent pas uniquement de la pauvreté. Ils ont besoin d’accompagnement et d’inclusion pour ne pas rester à vie en marge de la société.

SOLVEIG GODELUCK

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