Je suis ravie d’avoir été interviewée sur ce sujet de la politique de bureau, car comme la politique tout court, que l’on s’occupe ou pas de politique, celle-ci s’occupe de vous. Mieux vaut donc en maîtriser les règles.

Elle a ses propres codes, se joue aussi hors du temps de travail et semble l’apanage des ambitieux prêts à tout pour progresser. Et si la politique de bureau était plus simple qu’on ne le pense ?

Certains semblent taillés pour. Comme s’ils avaient affûté leur jeu, travaillé leur charisme et dégagé de l’espace dans leur agenda pour se jeter dans le jeu de la politique de bureau. Pleins d’assurance, toujours au bon endroit au bon moment, ils s’assurent d’avoir constamment trois coups d’avance. Sans forcément travailler plus ni mieux que les autres (même si c’est parfois le cas), ils sympathisent avec les cadres importants, récupèrent les bons dossiers, attrapent la lumière… et décrochent les primes et promotions qui font la différence.

Ne pas rester sur le bord de la route

L’ensemble laisse parfois leurs collègues pantois, spectateurs de ces jeux d’influence qui leur échappent… ou les agacent. Notamment les femmes ? En 2011, nombre d’entre elles affirmaient déjà préférer renoncer à une promotion, par désintérêt pour les jeux et conflits de pouvoir, d’après l’étude «Femme et pouvoir» du CEDE publiée cette année. La faute, peut-être, à une certaine vision de la réussite et à des codes professionnels encore éminemment masculins. En plus de grignoter le temps de travail, la politique de bureau se joue à la pause déjeuner ou le soir, entre deux portes, ou en terrasse au coin de la rue. Un temps dont les mères actives, encore majoritairement en charge des tâches domestiques et familiales, disposent peu. En quête de plus de sens, de rapports humains plus sincères, certaines partent chercher leur bonheur ailleurs -à des postes moins prestigieux ou dans des entreprises plus horizontales. Ainsi les dirigeantes interrogées par Céline Alix, auteure de Merci, mais non merci (1), ou Bénédicte Tilloy, ancienne cadre de la SNCF, qui a publié La Team : comment j’ai quitté mon Comex pour une start-up (2).

Faut-il, pour autant, renoncer à travailler dans un grand groupe si on ne se sent pas «fait» pour la politique de bureau ? Surtout pas, balaie la coach et docteure en anthropologie Marie Rebeyrolle, fondatrice du cabinet Carré Pluriel : «La politique de bureau ne vise pas uniquement à faire avancer sa carrière, mais aussi à intégrer un collectif de travail, rappelle-t-elle. Pour ne pas se retrouver exclu et isolé, pour son propre bien-être, en somme, il importe de repérer les modes de fonctionnement, les codes relationnels et les habitudes du groupe – qui déjeune avec qui, à quels moments de la journée échange-t-on, comment se parle-t-on… Ensuite, on peut sélectionner ce qui nous convient, ce qu’on choisit ou non d’adopter. Chacun a intérêt à chercher une forme de compromis ou d’équilibre, car la politique de bureau est comme la politique tout court : qu’on s’intéresse à elle ou non, elle s’intéresse à nous.»

La force de l’observation

La première étape ? Observer les mécaniques à l’oeuvre dans son équipe et son entreprise. «Nous avons tous des réflexes immédiats de projection ou d’interprétation, souligne Marie Rebeyrolle. On juge Chantal immature, on reproche à Pierre de se prendre pour un cador… En bref, on prête des intentions aux autres au lieu de prendre du recul pour observer ce qui se joue.» Qui échange avec qui, et comment ? Les affinités se nouent-elles à la pause déjeuner, ou plutôt au sacro-saint verre du vendredi soir ? Quelles qualités loue-t-on chez cette collègue très appréciée ? En réunion, qui s’assied où ? Comment les conflits se manifestent-ils ? Qui détient quelle marge de manoeuvre ? Quels sont les cadres qui comptent, et pourquoi ? «Apprendre à suspendre son jugement demande un peu de temps, poursuit notre coach. Mais ne pas avoir le nez dans le guidon en permanence, être capable de ne pas tout ressentir dans l’urgence, est une capacité précieuse.»

Choisir ses combats

«Gagner ainsi en lucidité évite aussi de s’épuiser sur un projet qui nous passionne, ou que l’on juge stratégique à première vue, mais auquel personne ne prête vraiment attention, précise Marie Rebeyrolle. Au détriment d’autres dossiers apparemment plus anecdotiques, qui sont en fait de vrais espaces de pouvoir.» Votre entreprise prépare le lancement d’un nouveau produit et vous y voyez une occasion de briller ? Peut-être. Sauf si les lauriers en reviennent à un collègue, parce que c’est lui que l’organisation de votre service mettra, de fait, en lumière sur ce dossier. Vous redoutez le passage au flex office annoncé par votre Drh. Avant d’inonder votre N+1 de notes sur le sujet, pour éviter cette option que vous redoutez, assurez-vous que la direction le consultera bien lui, avant de trancher.

«Où notre travail sera-t-il le plus facilement récompensé ? Voilà la question à se poser lorsqu’on fait de la politique de bureau pour progresser, encourage Marie Rebeyrolle. On y répond en prenant en compte plusieurs facteurs : l’importance de tel ou tel projet aux yeux de la direction, les difficultés éventuelles à sa mise en oeuvre – peut-on les surmonter et les faire savoir pour susciter une plus grande reconnaissance ? -, l’intérêt qu’il suscite chez les personnes dont on veut se faire remarquer…»

Miser sur les bonnes personnes

Voilà l’un des points clés : une politique de bureau efficace cible ses objectifs. S’il s’agit de nouer des relations de confiance avec ses équivalents hiérarchiques, on peut utiliser les temps informels ou dégager du temps pour rendre service à l’un ou à l’autre. Si l’enjeu est de faire progresser sa carrière, la stratégie sera autre. «Inviter son N+1 à déjeuner peut être une façon de le valoriser, poursuit notre coach. Mais d’autres dynamiques restent plus efficaces, comme le fait d’avoir un ou plusieurs mentors, avec lesquels on n’a pas forcément de lien hiérarchique.» On peut par exemple proposer un café à un chef qu’on a repéré et dont on admire le travail ou le style, pour l’interroger sur un de ses projets récents – s’intéresser aux autres est la meilleure façon de développer son réseau. Étape suivante : en faire un référent que l’on consulte de temps en temps pour recueillir son expertise, ses conseils. Un moyen de nourrir sa propre créativité, d’apprendre, mais aussi de préparer la suite – ou l’ailleurs.

D’où l’importance de tisser hors de son entreprise également un réseau dont on se fait repérer. Tout dépend de ses aspirations, de ses objectifs à moyen et à long terme, et de la façon dont on souhaite investir son temps et son énergie. «Dans tous les cas, accepter de s’intéresser aux jeux de pouvoir et d’influence permet de se redonner, à soi, du jeu, au sens de marge de manoeuvre.» Et d’amusement. «On retrouve de l’espace, de l’agilité, plutôt que de rester enfermé dans ses convictions, ses conflits ou ses principes.» En un mot, on ouvre l’horizon des possibles.

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