Tu ou vous – Depuis les années 70, le vouvoiement a perdu de son influence en entreprise. Mais quel est le plus efficace ?
Faut-il laisser le “tutoiement” à la porte de son travail ? Souvent considéré comme familier, le “tu” est toutefois très présent dans les entreprises françaises, et ce même entre les différents échelons hiérarchiques. Mais est-ce une bonne chose d’un point de vue managérial ? Pour l’image de l’entreprise ? Question simple qui induit une réponse compliquée. Décryptage.
Le “tu” s’est répandu
Dans les années 60, le “vous” régnait dans les rapports professionnels, notamment dans les rapports hiérarchiques. Selon Jean-Pierre Le Goff, sociologue au laboratoire Georges-Friedmann, cité par La Croix, il y eut d’abord “une évolution sociétale ‘post-soixante-huitarde” qui a changé ces rapports et ouvert la porte des entreprises au “tu”. “Cette rupture s’est combinée avec un mode de management d’entreprise inspiré du monde anglo-saxon. On y vante la proximité, le challenge collectif. Tous les salariés sont mis sur le même plan d’implication. Dans l’imaginaire, tous sont censés devenir autonomes et responsables”, explique le chercheur.
Selon une étude parue en 2010 de la Dares, le bureau des statistiques du ministère du Travail, 65% des salariés tutoient leur supérieur. Avec une différence de genre : c’est le cas de 51% des femmes et de 73% des hommes. Toutefois, selon une étude de 2006 de la linguiste finlandaise Eva Havu, également citée par le journal catholique, le “tu” pourrait s’effacer avec le vieillissement de la génération de mai 68. “Les plus jeunes en reviennent de plus en plus au vouvoiement, comme si les valeurs de Mai 68 avaient été oubliées”, assure-t-elle.
Une différence selon les secteurs
Mais le “tu” n’est pas encore mort, loin de là. “Il y a des secteurs où le ‘tu’ est quasi-obligatoire, comme dans certaines start-up, dans la pub, la communication, dans toutes les sociétés où l’on veut donner une image dynamique, innovante. Ces entreprises se veulent plus conviviales, jeunes, plus ouvertes et informelles. Elles veulent donner l’impression que tout le monde fait partie de la même famille”, décrypte pour Europe 1 Marie Rebeyrolle, anthropologue et coach, directrice générale du cabinet de conseil Carré Pluriel.
Le “vous”, lui, siège plutôt dans les secteurs plus traditionnels, “dans la banque, les assurances, ou au sein des sièges sociaux”, poursuit Marie Rebeyrolle. En outre, selon l’ethnologue Denis Guigo, cité par Capital, il existe “trois barrières implicites au tutoiement : les différences d’âge, de sexe et de niveau hiérarchique. Dès lors que celles-ci se superposent, les franchir devient problématique. Ainsi, un cadre tutoiera plus aisément un supérieur de son âge qu’une subordonnée plus mûre”.
Au final, lequel est préférable ?
Le mieux est donc de faire preuve d’observation est de s’adapter au codes de l’entreprises. “La bonne attitude sera celle qui conviendra aux deux parties. On ne décrète pas le tutoiement : on le propose ou on l’autorise. Sans doute aussi est-il préférable de l’argumenter”, conseille également la psycho-sociologue Dominique Picard, dans une interview à Atlantico.
Dans l’absolu, il est difficile de savoir lequel a le plus d’effets positifs sur le comportement des équipes. Chaque camp a ses partisans. “J’ai vu des entreprises où l’on se tutoyait du président au consultant. Mais cela n’a jamais entraîné de sentiment de convivialité, il y avait toujours des distances. À l’inverse, le ‘vous’ n’empêche pas l’esprit d’équipe. Ce ne sont que des codes. Mais le ‘vous’ a le mérite de marquer la distance, le respect. Si la question est : quel code implique le plus le respect ? La réponse est le ‘vous’. Il a un effet réel”, argumente ainsi Marie Rebeyrolle. Et de poursuivre : “dans les pays anglo-saxon, il y a d’autres codes pour marquer cette distance : des tournures de phrases, des gestes. Mais le ‘vous’ a l’avantage d’être un code très simple”.
Pour la psycho-sociologue Dominique Picard, toutefois, il ne faut pas enterrer le “tu” trop vite, car il peut avoir un effet réel. “Tutoyer n’est pas niveler les différences. La hiérarchie elle-même demeure. C’est la relation hiérarchique qui évolue en fonction des changements culturels et sociaux. Le tutoiement en est à la fois le marqueur et le vecteur. Il serait réducteur de le ramener à un simple phénomène de mode”, défend-elle. “Par contraste, le vouvoiement peut apparaître comme la marque d’un certain formalisme mâtiné de pesanteur et d’immobilisme. Un patron que l’on tutoie, ça peut-être un plus pour l’image de l’entreprise”, explique-t-elle encore. Le débat reste ouvert, à vous/toi de choisir votre/ton camp.
Gaétan Supertino
Lire l’article sur Europe 1.fr
Télécharger l’article :
Carré Pluriel Marie Rebeyrolle : Faut-il se tutoyer ou se vouvoyer au bureau ?.pdf