A force de nous interroger sur le rapport des femmes au pouvoir, singulièrement dans l’entreprise, nous aurions fini par oublier que cette question se pose également pour les hommes. Et si ce simple rappel permettait de voir d’un jour nouveau la mise en jeu de la sexuation dans l’exercice du pouvoir ?
Plus simple pour les hommes l’exercice du pouvoir ?
Depuis l’avènement du « management au féminin » et son cortège de valeurs dites « féminines », les hommes dirigeants se devraient de faire preuve d’empathie, d’écoute, de valorisation de la relation… ce qui, implicitement, indiquerait qu’ils seraient ou étaient bien loin d’être spontanément familiers de ce genre de pratiques. A eux, au contraire, l’autorité, la puissance et l’action teintées d’une certaine brutalité qu’ils devraient aujourd’hui concilier avec certaines qualités « féminines » les conduisant sur le chemin plus escarpé de la complexité.
Hasard ou nécessité, l’entrée du « féminin » dans l’entreprise a en effet coïncidé avec l’émergence de la « complexité » de sorte qu’en regardant le passé on peut avoir le sentiment que « tout était plus simple avant » : pas de chômage, pas d’incompréhension intergénérationnelle, pas besoin de questionner un management essentiellement fondé sur la hiérarchie ni un pouvoir légitimé par l’autorité inhérente à sa fonction… et pas non plus à s’interroger sur la nature masculine ou féminine de l’exercice de son pouvoir. Alors que maintenant ?
Et bien maintenant, ce qu’une douzaine d’années de coaching de dirigeants confirme, il devient impossible pour un homme de ne pas utiliser à un moment ou un autre la grille « masculin-féminin » afin d’appréhender son mode de management et de relation. Non pas pour constater la différence des sexes – ce qui était habituel dans une registre machisme aujourd’hui assez peu recommandable – mais afin d’y reconnaître une source de richesse et de diversité. « Avec ma collaboratrice, je n’y arrive pas. Vous comprenez, c’est une femme… » me dit Bertrand, directeur commercial, ajoutant « avec les hommes c’est plus simple et direct ». Puis il enchaîne « il faut pourtant que j’apprenne à la manager, on ne vit pas dans un monde d’hommes ». La capacité à s’inscrire dans la différence des sexes deviendrait-elle ainsi aujourd’hui une clé de réussite et de réalisme pour un dirigeant ?…
Alors, plus simple pour les femmes ?
Les femmes, elles, seraient d’emblée plus à l’aise dans la complexité tant il est vrai qu’elle ont l’habitude de concilier l’inconciliable : le travail et les enfants, l’autorité et la douceur, y compris dans le foyer, la réalisation simultanée de plusieurs tâches, ou encore la créativité et le sens pratique !…
Si nous ajoutons à cela que les portes des grandes écoles et des filières scientifiques se sont ouvertes à elles, de même que l’accès à des postes de responsabilité, comment expliquer alors que le plafond de verre apparaît toujours aussi solide et que les différences en termes de salaires, de promotion ou d’évaluation des compétences, pour ne citer que ces critères les plus marquants, restent aussi enracinées ?
Manque d’ambition diront certains, choix de la maternité qui induit certains renoncements diront d’autres. Si le coaching de dirigeants indique sur les dernières années des évolutions sensibles, celui de dirigeantes marque, lui, certaines constantes qui semblent inamovibles comme celle de devoir prouver qu’avoir été promue était légitime « bien que l’on soit une femme » ou « parce que l’on est une femme ». « Je ne me fais pas d’illusion » me dit Anne-Marie, première femme nommée à la tête d’une division de son Groupe, « certains pensent que j’ai été promue parce que je suis une femme et non parce que je suis compétente ». « Pourtant » ajoute-t-elle « je sais pertinemment que je dois ma réussite à mes compétences ». Imagine-t-on un homme tenir de tels propos ?
Sans compter que les dirigeantes se confrontent régulièrement à la question de leur « féminité » dans l’exercice du pouvoir, alors qu’il est rare qu’un homme se demande s’il est encore « masculin » lorsqu’il exerce le pouvoir.
Les jeux de l’amour et du hasard
« Je sais, ma mère me dit que je suis devenu dur, comme mon père. Pourtant c’est elle qui m’a poussé à réussir » commente un jour Jean, lorsque nous échangeons sur ses difficultés à faire confiance et déléguer. Et de tirer le fil de son envie de correspondre au désir de sa mère, celui d’avoir un fils dont elle pourrait être fier, un fils « qui réussit ». Mais sur quel modèle ? Car il semble bien que Jean ait souhaité et cru répondre au désir de sa mère en devenant dirigeant. Sans trop d’ailleurs se poser la question de ce qu’il désirait lui.
Qu’est-ce qui pousse donc un homme ou une femme à rechercher l’exercice du pouvoir ? A l’obtenir ? A le conserver ? Ces 3 étapes étant souvent distinctes. « Mes parents sont enseignants, que je devienne dirigeante ne les a pas particulièrement enthousiasmés » me confie Magali qui a engrangé un DESS, un Master et en termine un second tout en assurant ses fonctions de jeune directrice d’unité. Alors que Brigitte me prévient, au cours de l’entretien préalable de coaching, « j’ai grimpé tous les échelons et je me sens à l’aise dans des postes opérationnels. Pour moi, prendre un poste au Siège ne me fait pas du tout envie ». Pourtant, son coaching a été décidé afin de lui permettre de développer une dimension plus « stratégique »… Quant à Jean, dont la mère critiquait la « dureté », il se verrait bien, lui, « sortir du terrain et prendre un poste en central » car il sait qu’il a « de vraies compétences à mettre au service du Groupe ». Alors que Bertrand, s’interrogeant sur les ressorts féminins de sa collaboratrice, conclut qu’il saura « tirer les leçons de cette expérience pour faire autrement et mieux la prochaine fois ». Autant d’exemples de jeux d’images qui déclinent une certaine confiance ou un certain manque de confiance en soi trouvant écho dans la différence des sexes et l’assignation de genre.
Car le fait d’être un homme ou une femme joue dans ces postures et ces choix. Parce qu’être un homme ou une femme, pour un individu, c’est s’ancrer dans une histoire familiale, se référer à des modèles familiaux et sociaux de l’homme et de la femme et, pour un ou une dirigeant(e), s’inscrire dans les jeux de représentations véhiculés par son entreprise, son secteur d’activité, sa politique RH…
La combinaison des facteurs est ainsi multiple qui relève autant de l’histoire individuelle que de l’environnement social et professionnel. Combinaison qui produit une complexité de raisons que les jeux de l’amour – pourvoyeurs ou non de confiance en soi – et du hasard – fragilisant ou consolidant cette confiance en soi – viennent alimenter.
La tentation du tout ou rien
Dans ce contexte, les entreprises tentent depuis plusieurs années un certain nombre d’expériences afin de faire avancer la « cause des femmes ». Dans le panel des actions possibles, la mise en place de cursus « leadership au féminin » ou l’imposition de quotas dans la politique RH sont les plus utilisées. Sauf qu’elles sont rarement perçues comme valorisantes par les premières intéressées et ont un impact limité, voire à l’inverse du résultat escompté. Les cursus « leadership au féminin » peuvent en effet renforcer l’idée d’un « vrai » management naturellement masculin dont les femmes continueraient d’être exclues : à elles cette formation supplémentaire pour enfin leur permettre de comprendre et d’exercer le pouvoir managérial. Quant aux quotas, il est toujours possible d’imposer des candidatures, voire des recrutements de femmes à des postes de direction, c’est pourtant après que tout se joue : dans le choix final ou la façon dont on définit sa place à une dirigeante nouvellement nommée.
Si les actions menées montrent donc qu’elles ne peuvent pas tout, n’est-il alors pas plus simple d’en revenir au rien de départ et de laisser faire les choses ? La réponse relève dès lors d’un choix pratique et non plus d’une vérité objective. Autrement dit, il devient impossible de s’appuyer sur des arguments et des preuves « scientifiques », mais tout au plus sur des expériences, des croyances ou des convictions… c’est-à-dire sur des choix « idéologiques », terme qui n’a pas bonne presse, ni dans nos sociétés en général, ni dans les entreprises en particulier plus préoccupées de trouver « la » solution irréfutable si possible fondée sur une réalité indiscutable.
C’est pourtant bien d’idéologie dont il est question lorsque l’on décide ou non de mettre en place des actions de « rééquilibrage » dans la répartition des rôles ou du pouvoir entre hommes et femmes dans les entreprises. En partant, par exemple, du constat que les hommes et les femmes sont aussi bien formés et compétents et qu’il est donc « injuste » ou « inacceptable » ou « dommageable »… qu’ils n’accèdent pas aux mêmes postes ou aux mêmes rémunérations. Excepté que cette vérité apparemment « objective » s’ancre dans des jeux d’interprétation et qu’elle donne d’ailleurs souvent lieu à des débats sans fin sur le mode du « oui, mais »… Parce qu’il existe toujours un contre-exemple qui prouve que « ça n’a pas marché », que certaines femmes peuvent être plus « dures » que certains hommes, ou réussissant moins bien, ou bien même que certaines ne veulent pas du pouvoir, ni certains hommes non plus d’ailleurs, ou encore que le pouvoir ne serait après tout pas si fascinant et ne constituerait pas forcément le Graal recherché par tous.
Jouer sa partition
Le coaching est alors un « espace-temps » grâce auquel le ou la dirigeant(e) met à jour certains de ses ressorts et de ses envies, les réinterroge, en abandonne certains pour en choisir ou en privilégier d’autres. Si l’ancrage est et reste donc bien celui de la sphère professionnelle, les échappées vers l’univers plus personnel sont également nécessaires afin que le coaché compose et joue sa propre partition.
C’est pourquoi être une femme ou un homme, qui plus est exerçant du pouvoir, en venant faire écho dans le cheminement du coaching à la question de l’identité, de la confiance et du désir, conduit le(a) dirigeant(e) à interroger le plus intimement singulier et le plus socialement codifié de la différence des sexes telle qu’elle se joue dans ses relations à l’autre et aux autres.
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Carré Pluriel Marie Rebeyrolle : Femmes, hommes et pouvoir dans l’entreprise.pdf