Edition 2015 de l’étude PISA, publiée par l’OCDE, portant sur le niveau scolaire des élèves de 15 ans dans 72 pays.

Ce que l’étude PISA évalue

« PISA montre que » ; « PISA nous apprend que »… Dans les débats politiques sur l’école, rares sont les discours qui ne s’appuient pas sur le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA). L’étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui évalue, tous les trois ans, les élèves de 15 ans en lecture, mathématiques et sciences, est une référence. Réservée, à ses débuts, à un cercle d’initiés, elle est devenue un élément-clé du débat sur l’éducation. Une « pièce à conviction » pour pointer les forces et faiblesses de notre système scolaire. Dès lors, de nombreux spécialistes s’interrogent : quelle crédibilité accorder à PISA ? Quelles sont les bonnes raisons de la prendre au sérieux, ou au contraire, de s’en méfier ?

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Sur le plan méthodologique, rien à redire. Peu de chercheurs mettent en doute le sérieux du programme. PISA hérite d’une longue tradition d’enquêtes internationales qui remonte aux années 1960. Il a su tirer les leçons des écueils passés. Il a su, aussi, se bonifier avec l’âge, intégrant, au fil des ans depuis sa première version en 2000, les critiques qui lui étaient adressées. « PISA est sans conteste un modèle du genre, souligne Thierry Rocher, statisticien à la DEPP, le service statistique du ministère de l’éducation nationale. Modèle qui a une influence certaine, d’un point de vue technique, sur nos évaluations nationales. »

Chaque étape de sa construction est soumise à des normes et à des contrôles serrés que doivent respecter les pays participants : tirage des échantillons d’élèves, double traduction des questionnaires, sélection des administrateurs des tests, consignes de correction… Pour éviter les biais culturels et ne pas coller à un système éducatif plus qu’à un autre, tous les pays sont sollicités pour envoyer des questions. S’ensuit une phase de « pré-test » du questionnaire pour éliminer les énoncés biaisés. « Les résultats de PISA sont-ils valides ? La réponse est oui, assure Georges Felouzis, sociologue à l’université de Genève. Je ne connais pas d’autres enquêtes de cette échelle dont la méthodologie est aussi robuste. »

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« Petits échantillons d’élèves »

Est-ce à dire que PISA est le parfait reflet de ce qui s’apprend en classe ? Si l’enquête fournit une mine d’informations sur l’état de notre école, les chercheurs invitent aussi à ne pas faire de PISA l’alpha et l’oméga de l’évaluation des élèves. Car PISA ne dit pas tout. Il mesure les compétences en lecture, mathématiques et sciences. Il n’évalue pas les compétences sociales, civiques, morales, physiques, artistiques… qui seraient plus difficiles à mettre dans des cases de statisticien.

Surtout, PISA ne mesure pas la maîtrise des programmes scolaires, mais plutôt des aptitudes que tout jeune doit posséder pour avancer dans sa vie future. Aptitudes à utiliser ses savoirs dans des contextes de vie quotidienne ; capacité à comprendre, analyser, raisonner… « Au départ, c’est une approche élaborée aux Etats-Unis – et aujourd’hui mondialisée –, qui s’arrête au caractère utilitariste de l’école : apprendre à mobiliser des compétences pour se débrouiller dans nos sociétés. Cela peut être considéré, du point de vue de la compétence évaluée, comme assez réducteur », avertit Pierre Vrignaud, professeur émérite de psychologie à Paris-Ouest et spécialiste de l’évaluation scolaire.

Plus problématique, l’usage qui est fait de PISA. Tous les trois ans, l’attention médiatique se porte sur les classements des pays, du meilleur au moins bon : « la France chute à la 25e place » ; « elle est devancée par l’Allemagne »… Pour Julien Grenet, chercheur à l’Ecole d’économie de Paris, ces palmarès ont peu de fondements statistiques. « Le score moyen de chaque pays est entouré par une incertitude, qui tient au fait que l’enquête porte sur des petits échantillons d’élèves et présente des marges d’erreur, explique cet économiste. Si bien que des pays dont les rangs sont proches dans le classement peuvent avoir des résultats qui ne sont pas statistiquement différents. »

En outre, il faut comparer ce qui est comparable. PISA ne prend en compte que les jeunes de 15 ans scolarisés. Si on peut comparer la France à la plupart des pays de l’OCDE, qui ont des taux de scolarisation à 15 ans proches de 100 %, on ne peut pas en faire autant avec des pays où ce taux est bien plus bas.

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Florilège de leçons

Enfin, inutile de chercher dans PISA des recettes miracles. Le fait, par exemple, que tel pays en haut du palmarès accorde une large autonomie à ses établissements scolaires ne permet pas de déduire qu’il s’agit d’un des secrets de la réussite. D’autres facteurs, ancrés dans le contexte de ce pays, participent à l’explication de ses bons résultats. « PISA donne une photographie, à un moment donné, des résultats des élèves. Peut-on en déduire des liens de causalité ? S’aventurer sur ce terrain-là me semble délicat, confirme Thierry Rocher. Par exemple, la Finlande et la Corée sont tous deux très performants, et pourtant, leurs systèmes scolaires n’ont rien à voir ! »

Il existe pourtant tout un florilège de leçons prétendument tirées de PISA – allant de tout à son contraire – que les politiques de tous bords mettent en avant. Comme si l’OCDE était un « super-ministère » prescripteur de standards mondialisés sur l’école. PISA montrerait ainsi la nécessité de réformer le primaire, de supprimer – ou de renforcer – le collège unique, d’en finir avec le redoublement ou les devoirs à la maison… Il révélerait également l’échec des politiques de droite (selon la gauche) et l’échec des politiques de gauche (selon la droite).

Les élèves français dans la moyenne

Les enquêtes sur l’école passent, et le diagnostic ne varie pas : notre système éducatif est profondément inégalitaire. S’il sait produire une élite, il se révèle incapable de résorber son « noyau dur » d’élèves en échec scolaire, qui sont principalement issus de milieux défavorisés. Une fois de plus, l’enquête PISA (Programme international pour le suivi des acquis) à propos des élèves à 15 ans, réalisée en 2015 et rendue publique par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), mardi 6 décembre, fait de la France l’un des pays où le déterminisme social est le plus fort. Et ce, en dépit des alternances politiques et des réformes successives.

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Cette tendance est mise en avant depuis bientôt dix ans. La sixième mouture de l’enquête internationale, qui met l’accent cette fois sur les compétences des adolescents en sciences, a donc comme un air de déjà-vu. Avec un score de 495 points, la France se situe dans la moyenne des pays de l’OCDE (493 points) – au même niveau que l’Autriche, la Suède ou les Etats-Unis. Mais reste bien en deçà de Singapour, du Japon, de l’Estonie, de la Finlande et du Canada qui, avec leur score supérieur à 530, briguent les premières places du palmarès. Bien au-dessus, en revanche, de la Turquie (425) ou du Mexique (416) qui ferment la marche.

Le score moyen français cache toutefois de très fortes disparités : 118 points séparent le résultat de l’enfant « bien né » de celui d’origine très modeste. Le premier a obtenu en moyenne 558 points aux tests ; le second seulement 441 points. C’est l’un des écarts les plus forts parmi les 72 pays ou économies qui ont participé à l’enquête. L’OCDE le dit autrement : « Le milieu socio-économique explique en France plus de 20 % de la performance obtenue par les élèves de 15 ans, contre seulement 13 % pour la moyenne des pays de l’OCDE. »

Une tendance internationale à la baisse

Il n’y a pas, en France, la « dégringolade » que certains pronostiquaient : notre pays conserve le niveau qu’il a atteint en sciences depuis 2006. Mais il est presque un cas à part parmi les pays de l’OCDE, dont beaucoup ont vu leurs résultats se détériorer. Pour ce qui est des causes, l’organisation internationale ne s’épanche guère, se bornant à formuler, selon les mots de Gabriela Ramos, directrice du cabinet de l’OCDE, « l’hypothèse d’un développement très important des sciences et des technologies au cours des dix dernières années, auquel les systèmes éducatifs ne se sont pas suffisamment adaptés ».

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En France, un noyau dur d’élèves en difficulté

Autre enseignement qui frappe à la lecture de l’enquête, la France n’a toujours pas eu son « choc PISA », contrairement à l’Allemagne, la Pologne ou le Portugal qui ont su, d’un PISA à l’autre, résorber une partie de leurs difficultés. Certes, notre pays a son lot d’élèves « très performants » : ils représentent environ 8 % de la classe d’âge. Eux ont le bagage suffisant pour appliquer « de manière créative et autonome » leurs connaissances et compétences scientifiques « dans un large éventail de situations, y compris des situations qui ne leur sont pas familières », souligne l’OCDE. A ces derniers, il faut ajouter le groupe des « performants », qui représente 21 % des élèves. C’est un peu plus que la moyenne de l’OCDE, qui s’établit à 19 %.

On aimerait bien s’en féliciter, sauf que, dans le même temps, l’école française bute sur 22 % d’élèves en difficulté. Leur niveau à eux, en sciences toujours, est en deçà du « seuil de compétences que tous les élèves devraient atteindre à la fin de leur scolarité obligatoire ». C’est légèrement plus qu’en 2006 (21 %). Légèrement plus, aussi, que la moyenne de l’OCDE (21 % également). « En France, le système scolaire reste dichotomique », comme le résume Gabriela Ramos.

Un fort déterminisme

PISA 2015 vient aussi rappeler qu’en France, les destinées scolaires se figent au berceau. C’est là ce qui caractérise l’Hexagone lorsqu’on le compare aux autres pays de la zone OCDE. Près de 40 % des élèves issus d’un milieu défavorisé sont en difficulté, selon l’évaluation. Et seulement 2 % d’entre eux peuvent prétendre au titre de premier de la classe. A l’inverse, seuls 5 % des élèves d’un milieu favorisé sont classés parmi les plus faibles.

Le système français est encore plus discriminant pour les jeunes issus de l’immigration. Leur score est inférieur de 62 points à celui des autres élèves (contre 43 points en moyenne OCDE). Après « contrôle du milieu socio-économique » des élèves, cet écart se réduit à 32 points, précise l’OCDE. C’est encore l’équivalent d’une année scolaire…

Moins de plaisir, moins de confiance

Les élèves français aiment en majorité les sciences, mais moins qu’avant. Il y a dix ans, ils en appréciaient l’apprentissage « dans une bien plus large mesure que la moyenne des élèves des pays de l’OCDE ». Cela n’est plus le cas. « Ce constat marque un changement d’attitude », soulignent les statisticiens de l’OCDE. C’est surtout chez les filles que l’appétence est plus faible. Par exemple, « 65 % d’entre elles disent s’amuser lorsqu’elles apprennent les sciences, contre 72 % des garçons », chiffre Eric Charbonnier, expert éducation à l’OCDE. Seules 38,6 % des filles disent avoir des lectures scientifiques ; c’est moins que les garçons (51,3 %). Elles sont aussi moins nombreuses à avoir confiance en elles dans cette matière.

Dès lors, sans grande surprise, elles sont aussi moins nombreuses à se rêver ingénieure, chercheure, informaticienne… 18,7 % d’entre elles, en moyenne, envisagent d’exercer une profession scientifique, contre 23,6 % chez les garçons.

Deux autres champs d’investigation

A côté des sciences, PISA apporte également un éclairage sur les mathématiques et la compréhension de l’écrit. Les déclinistes de tout poil n’y trouveront pas de quoi nourrir leur refrain : après une forte baisse des performances en mathématiques entre 2003 et 2012, la situation est restée stable depuis. La France, en la matière, se situe juste au niveau de la moyenne des pays de l’OCDE (avec un score de 493). Malgré cela, la tendance à l’œuvre reste la même que pour les sciences, avec davantage d’élèves en difficulté (de 22 % en 2012 à 24 % en 2015). Enfin, dernier domaine d’investigation, le score des élèves français en compréhension de l’écrit a gagné trois points, passant de 496 à 499 entre 2009 et 2015. Une timide bonne nouvelle.

En chiffres

540 000 participants dans le monde 
Représentatifs des quelque 29 millions d’élèves âgés de 15 ans scolarisés dans 72 pays et économies, les adolescents se sont prêtés au jeu en 2015. L’échantillon en France représente environ 6 000 élèves.
2 heures d’épreuves 
Les jeunes ont répondu avec des questions à choix multiples et des « items » demandant à chacun de formuler ses réponses. Ils ont aussi dû répondre à un questionnaire sur eux-mêmes, leur milieu familial, leur établissement, leurs expériences d’apprentissage…

Aurélie Collas

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