Décryptage des réalités, représentations et argumentaires relatifs au rôle et au travail des femmes alimentés par le Penelope Gate.

Réalités du travail

Il ne s’agit bien sûr pas ici de se substituer au travail des enquêteurs ou à l’analyse des experts politiques. En revanche, le Penelope Gate interroge la définition du travail, ses nouvelles formes, la distinction entre une activité, un travail et un emploi, ou encore ce que serait un travail « réel ».

Avec le développement récent du salariat, les choses semblaient pourtant s’être simplifiées, le travail se définissant par l’échange de « sa force de travail » contre un salaire, tout salarié signant avec son employeur un contrat encadrant les attendus et rémunération du poste occupé. Cependant, cette version d’un salariat généralisé définissant le travail se heurte à une réalité plus protéiforme liée, en particulier, à la coexistence de statuts divers (entrepreneurs, artisans, professions libérales, auto-entrepreneurs, travailleurs précaires, bénévoles…).

De plus, le travail n’a jamais été circonscrit au champ économique, mais s’inscrit également dans le champ de la parenté, puisqu’il est lié à l’appartenance familiale au travers, par exemple, des études ou des réseaux de relations, ainsi qu’au champ du pouvoir, le travail participant du positionnement de chacun dans la hiérarchie sociale.

Plus globalement, chaque société organise les relations humaines dans et entre ses champs sociaux (parenté, économie, pouvoir). De même qu’elle produit des systèmes de pensée ayant pour fonction de garantir ou remettre en question l’ordre établi, et de permettre à chacun de penser et gérer les relations dans lesquelles il s’inscrit.

Femmes au travail

Quant au travail des femmes, il relève depuis bien longtemps du champ économique, sans être généralement reconnu comme tel, d’une part, parce que les femmes assurent la production des enfants et, d’autre part, compte tenu de la hiérarchie posant l’infériorité du féminin par rapport au masculin.

Le développement du salariat pour les femmes leur a donc permis de valoriser leur travail contre un salaire, sachant qu’elles restent majoritaires dans les emplois précaires ou à temps partiel, et que subsiste en France un écart de salaire d’environ 20% entre hommes et femmes, à postes, compétences, diplômes et expériences équivalents. De même, nombre de femmes aident leur mari dans leur entreprise contre une rémunération inexistante ou faible, et quasiment toutes vivent la double journée de travail, celle rémunérée et celle du foyer, la répartition des tâches ménagères et de l’éducation des enfants restant largement inégalitaire.

Dans ce cadre, il est compréhensible que la rémunération de Penelope Fillon pour assister son mari dans sa fonction d’élu local, qui plus est d’environ 5 000 euros mensuels et sur de nombreuses années, entre en conflit avec les modèles sociaux du travail des femmes en France. Voici en effet une femme, épouse d’un notable politique, qui semble s’intéresser à la vie de sa commune et de ses administrés, assiste ou remplace son mari dans certaines manifestations locales – ce qui n’est pas sans rappeler la figure de la châtelaine d’antan –, et qui pour cela perçoit un salaire de cadre supérieure. Cette activité correspond-elle donc à un « vrai » travail ? Ou bien relève-t-elle du rôle d’épouse contribuant, selon les propres termes de Penelope Fillon, à « asseoir l’autorité » de son mari, élu local installé de longue date et engagé dans d’autres priorités politiques ?

En tout cas, la réponse de François Fillon ne s’est pas faite attendre, qualifiant de « misogynie » l’interrogation portée sur la réalité du travail de sa femme : « Je suis scandalisé par le mépris et la misogynie de cet article. Alors, parce que c’est mon épouse, elle n’aurait pas le droit de travailler ? Imaginez un instant qu’un homme politique dise d’une femme qu’elle ne sait faire que des confitures. Toutes les féministes hurleraient ».

Le travail d’un collaborateur parlementaire

Venons-en aux missions d’un collaborateur parlementaire, l’un d’entre eux précisant récemment sur une radio publique : « On peut tout faire. Aller chercher les enfants à la sortie de l’école ou passer au pressing ». Et préparer des propositions de lois pourrions-nous ajouter. Quoi qu’il en soit, le député dispose d’un crédit à 9 561 euros mensuels lui permettant de recruter jusqu’à cinq collaborateurs. Toujours selon la fiche n°82 de l’Assemblée Nationale, il « recrute librement ses collaborateurs, licencie, fixe les conditions de travail et le salaire de son personnel, dans le respect des dispositions du code du travail ». Il « répartit comme il le souhaite ses collaborateurs entre l’Assemblée Nationale et sa circonscription ». Quant aux tâches confiées, « elles dépendent des besoins du député et des compétences de la personne recrutée », aux moins qualifiées d’entre elles revenant « les tâches de secrétariat », et aux plus qualifiées « la contribution à l’exercice du mandat parlementaire : rédaction de discours, préparation de propositions de lois et d’amendements, représentation au sein du groupe politique, etc. ».

Parallèlement, il n’est pas précisé si le député peut ou non employer des membres de sa famille. Sachant que comme le dit l’adage « Ce qui n’est pas interdit est permis ». De même, l’usage montre qu’il s’agit d’une pratique courante. Remettre en cause cette possibilité ne va donc pas de soi. D’ailleurs, dans nombre d’entreprises, y compris internationales, parents et enfants travaillent ensemble. Ce serait également toucher au principe d’héritage, dont la fonction est bien sûr d’assurer la transmission du patrimoine, mais aussi la transmission de la position sociale familiale. Même si certaines expressions telles que « être né(e) avec une cuillère dans la bouche » ou « fils / fille à papa » indiquent que cet héritage peut faire grincer des dents.

Resterait alors à invoquer la « morale », François Fillon pouvant présenter ses excuses, lors de sa conférence de presse du 06 février, tout en précisant qu’il a « privilégié des relations de confiance qui aujourd’hui suscitent la défiance ». Une autre des possibilités étant de modifier la définition du travail des collaborateurs parlementaires, ce qui ne semble pas à l’ordre du jour.

Une épouse exemplaire

Penelope Fillon assurait-elle la fonction de collaboratrice parlementaire de son mari ou était-elle une femme assumant son rôle d’épouse d’homme politique ? François Fillon insiste alternativement sur « l’épouse remarquable » sans laquelle il n’aurait pas fait tout son parcours, et sur la liste des activités qu’elle aurait effectuées (courriers, agenda, réception de CV, traitement des réclamations, etc.), il est vrai aidée par Sylvie Fourmont, secrétaire personnelle de son mari. Tâches d’ailleurs généralement réservées aux moins qualifiés des collaborateurs.

François Fillon précise aussi que sa femme est intelligente et diplômée, ce qui est incontestable. Penelope Fillon s’inscrit dans le modèle de la bourgeoisie traditionnelle qui sait éduquer ses filles. Reste que cela ne destine pas nécessairement une femme de ce milieu à travailler, mais forge plutôt ses qualités pour assumer parfaitement ses rôles d’épouse et de mère y compris, en l’occurrence, dans la sphère politique.

Il ajoute enfin que sa femme a toujours été discrète, ce que l’on croit volontiers. Or, s’il s’agit de qualités essentielles pour une assistante ou une conjointe (certains hommes politiques ayant fait les frais de quelques éclats de la part de leur femme ou compagne), elles sont loin de conférer automatiquement aux activités exercées par Penelope Fillon le statut de travail salarié.

Les choses se compliquent encore si l’on s’en tient à ce que l’intéressée en a dit, semblant s’identifier au modèle bourgeois traditionnel d’épouse et de mère, en particulier lorsqu’elle manifeste le désir de s’en émanciper. Elle n’est pas alors sans évoquer l’image d’une certaine mélancolie féminine, décrite par Flaubert dans « Madame Bovary », analysée par Freud au tournant du XXe siècle, ou encore se référant à l’héroïne grecque du même prénom attendant le retour d’Ulysse 20 ans durant. Elle confie en effet en 2007 à Kim Willsher, journaliste au Sunday Telegraph, avoir repris des études de littérature anglaise car « j’ai réalisé que mes enfants ne me connaissent que comme une mère » et « cela va me permettre de travailler et de penser à nouveau ». Rappelons qu’elle travaille alors en tant que collaboratrice parlementaire depuis 1988. Sans compter le passage largement commenté à propos de son mari : « Je n’ai jamais été son assistante ou quoi que ce soit de ce genre. Je ne m’occupe pas non plus de sa communication ». Contraignant François Fillon à affirmer : « Oui (ma femme) n’a jamais été ma subordonnée, elle a toujours été d’abord et avant tout ma compagne de travail et ma collaboratrice » et, afin de dissiper tous les doutes s’il en restait, « elle n’a pas été mon assistante à l’insu de son plein gré ».

L’expérimentation de modèles hybrides

En résumé, nous pourrions dire que les arguments avancés par François Fillon soulèvent des questions sociales intéressantes, telles que la reconnaissance du travail des femmes au foyer ou la nature des activités qu’elles accomplissent, qui vont des courses, ménage, suivi scolaire et éducation des enfants… à conseiller, soutenir ou accompagner son mari. La variété, la combinaison et la hiérarchie entre ces différents rôles et tâches dépendant en grande partie de la position sociale du couple, selon que l’on est, par exemple, femme d’exploitant agricole, d’avocat, d’ouvrier ou d’homme politique.

Reste que François Fillon, au travers de sa famille, incarne et revendique le modèle de la bourgeoisie traditionnelle : statut de notable politique du mari, épouse éduquée, enfants, château… Ce qui ne l’empêche pas de s’essayer à l’hybridation des modèles sociaux de femmes.

Hybridation de modèles que celui de l’épouse bourgeoise qui, du fait même de son statut social, se doit de participer à la réussite de son mari, mais recevrait pour cela un salaire. Hybridation de modèles également si, mettant de côté le statut social, nous considérions que toute femme qui soutient et accompagne son mari dans sa carrière doit recevoir en retour un salaire. Rappelons que jusqu’à présent, la reconnaissance, la rétribution et le partage des bénéfices de cette réussite restent du domaine de la négociation entre conjoints.

Ce nouveau modèle ouvrirait donc la possibilité pour toute épouse d’être rémunérée sous forme de salaire pour accomplir son rôle d’épouse. Modèle qui ne serait pas sans bouleverser les bases de la famille, le rôle de conjointe pouvant alors faire l’objet d’un contrat de travail rémunéré et distinct du contrat de mariage fondé, dans notre société, sur l’amour, la fidélité, l’assistance mutuelle et l’éducation des enfants.

Avouons que le Penelope Gate réserve quelques surprises assez cocasses !

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