Conséquence imprévue des décalages technologiques, la surprise des buts est éventée par les cris du voisinage…

Le suspense n’a pas existé. Devant notre télé, bien en rang d’oignons terminant la ratatouille et les bières en canettes, nous savions que la France allait gagner. Oh, ce n’est pas parce qu’on avait une confiance immodérée en Payet et consorts ou l’espérance d’une erreur d’arbitrage favorable intervenant au tout dernier moment. Non, nous étions simplement informés à l’avance des buts à venir.

C’est un des revers de la médaille des nouvelles technologies. Avant, c’était simple. Tous devant la télé à la maison, dans les bars ou les campings, tous sur du hertzien et donc tous avec la même information au même moment. Aujourd’hui, les canaux d’accès sont multiples. La télé, l’ordi, le téléphone, les applis sur les consoles, les différents boîtiers dont on ne veut pas retenir les noms, les câbles, le satellite, le télégraphe… Bref, il y a du choix. D’ordinaire, c’est pratique et le décalage de quelques secondes qui existe selon les canaux n’est pas gênant. Pour le football, en milieu urbain, ça devient vite problématique.

57e minute de jeu vendredi soir. Soudain, venant des bars dans la rue et des fenêtres des immeubles en face, on entend des bruits. On se doute que ce n’est pas pour saluer la fin du reportage de Thalassa, mais, pour nous, à la télé, il ne se passe rien. Oh, une action vaguement dangereuse vient bien de se dérouler, une vingtaine de secondes avant… Espérons que c’était pour ça. Non, évidemment. 30 peut-être 45 secondes passent, et, soudain, centre de Payet, tête de Giroud, Tatarusanu part aux champignons, but pour la France ! On crie de joie mais, dans le fond, on le savait déjà. Le spoiler n’est plus réservé à Game of Thrones mais touche aussi le sport de haut niveau en direct, c’est terrible. Et une rapide observation des réseaux sociaux montre que nous n’étions pas les seuls touchés.

Nous, par exemple, on regardait le match ce soir-là sur TF1 via l’appli Canal+ du Xbox Live, autant dire que le signal doit partir de Saint-Denis, bifurquer par le port d’Abidjan, prendre le thé dans un palais turkmène et faire un détour par Redmond (Etats-Unis), avant d’arriver chez nous, dans le XIXe. La cata. Alors, oui, on a bien essayé de fermer la fenêtre, de parler plus fort et de monter le son, mais la qualité du vitrage parisien étant ce qu’elle est, c’était peine perdue. On s’est surpris après le but de Giroud à tendre plus l’oreille vers la rue qu’à vraiment regarder la télé.

A la 89e, à nouveau, des cris ont retenti, motif de déception (on était informés sans le vouloir malgré nos tentatives de précaution), et d’espoir (la France allait donc gagner). Ce fut un moment étonnant. Il y allait y avoir but, c’était presque certain, mais nous ne savions pas quand, ni comment, ni par qui, d’autant plus que les jaunes, pour nous, avaient la balle. Peut-être que, d’une certaine manière, la frappe de Payet n’en a été que meilleure, tragédie racinienne, colère des Dieux devant s’abattre à un moment ou un autre. «Hélas !», pour nos amis Roumains.

Tout de même, malgré cette excitation pas si négative, il a été décidé que nous regarderions le prochain match des Bleus en lieu sûr, dans un endroit informé à temps ou au moins à l’abri des cris des autres. Pourquoi pas à la campagne, loin de tout, sur un vieux poste de radio. A l’ancienne.

Quentin Girard

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