Le vieux système de l’entreprise craque de partout. Le modèle du hackeur pourrait alors servir de guide dans ce nouvel environnement.

Le vieux système de l’entreprise hiérarchique et pyramidale craque de partout. Les nouveaux entrants venus du numérique bousculent les business modèles. Les entreprises sont noyées dans les process et l’inertie, incapables d’innover. Déshumanisée, l’entreprise inonde ses collaborateurs d’impératifs de court terme et d’objectifs inatteignables.

Mais, si ce tableau noir de l’entreprise traditionnelle est de plus en plus courant, les dirigeants des grandes entreprises restent déboussolés devant la transition numérique, ayant parfois pris conscience des changements, mais incapables ou presque de dépasser le niveau du discours. Depuis quelques années, Stéphanie Bacquere et Marie-Noéline Viguié, spécialistes en stratégie numérique et en management collaboratif, sont invitées dans les grandes organisations pour mettre le hacking au service de la transition numérique.

En quoi un hackeur pourrait servir de guide ? Dans l’imaginaire collectif, le hackeur est un pirate informatique qui pénètre un système pour le faire tomber ou voler des données. Mais cette image est très réductrice. Le hackeur est surtout celui qui décide, en travaillant en communauté, de s’attaquer aux problèmes, de construire pour changer le système de l’intérieur.

Ses valeurs débordent le champ unique de l’informatique. Les hacktivistes ont ainsi investi le champ politique, à l’image des Anonymous. Les bio-hackeurs luttent, eux, pour une biologie participative en développant des semences en open source. La démarche s’applique à tous les domaines, y compris au milieu du travail. Le hacking va-t-il sauver les entreprises traditionnelles ?

Désobéissance

C’est cette idée surprenante que défendent Stéphanie Bacquere et Marie-Noéline Viguié dans l’ouvrage Makestorming. Le guide du corporate hacking (Diateino, 198 pages, 24 euros), qu’elles ont tiré de leurs expériences et qui a vocation, sans prétention, à servir de guide. Pour ces deux expertes du numérique, le hacking est la solution la plus adaptée pour réussir la transition numérique.

Le livre part d’un constat répandu : la plupart des transformations en cours dans les entreprises ne sont que des fausses solutions. La création d’une direction de l’innovation, par exemple, est contraire à l’esprit numérique, « car l’innovation vient de ceux qui font, pas d’une petite caste qui, elle, aurait droit d’être créative tandis que les métiers se contenteraient de suivre et d’appliquer ». Certains dirigeants se lancent dans la course au gadget, ils commandent d’urgence « un canapé géant, une table de ping-pong ou un baby-foot après avoir vu un reportage sur le siège de Google à Mountain View  comme si cela allait soudain rendre l’entreprise plus créative ».

Mais pour Stéphanie Bacquere et Marie-Noéline Viguié, il n’existe qu’une façon d’opérer vraiment la mutation d’une organisation : le corporate hacking. L’ouvrage, qui mêle théorie, retours d’expérience et conseils, propose une approche dont chacun peut s’emparer pour devenir, « à son échelle et à sa manière, un corporate hacker ».

Les auteures commencent par introduire la culture hackeurs, en balayant les idées reçues qui circulent sur le sujet, et montrent comment cette culture peut changer une entreprise en quelques mois. Elles expliquent, ensuite, comment peut s’opérer cette révolution, et racontent des histoires de corporate hackers qui ont réussi à faire évoluer leur entreprise ou leur administration.

Céline Alvarez a ainsi fait trembler l’éducation nationale en bouleversant les habitudes en classe : elle partage aujourd’hui, en libre accès, les outils pédagogiques développés. Frédéric Crétinon, chef de projet chez Salomon, a, lui, réussi à faire adopter son prototype de chaussures malgré les réticences de sa hiérarchie.

Elles évoquent aussi les petits actes de désobéissance par lesquels, tous les jours, des salariés ou fonctionnaires hackent leur organisation : envoyer un mail à son N + 2 pour court-circuiter l’incompétence de son N + 1, ouvrir un blog pour faire connaître son expertise à l’extérieur, utiliser son temps de travail pour d’autres projets plus souterrains, ou encore jouer avec la règle quand elle est absurde, en partageant, par exemple, une prime avec ses collaborateurs si l’entreprise ne verse que des primes individuelles.

« Un autre possible »

Si les fondatrices de Nod-A, société qui œuvre à faire découvrir les nouvelles pratiques de travail à l’ère numérique, ont à cœur cette rébellion constructive, c’est aussi que ces réflexions sont particulièrement importantes à l’heure où le travail devra se réinventer.

L’automatisation entraîne une restructuration profonde de notre manière de penser le travail, inquiétante à certains égards, mais qui pourra aussi être l’occasion d’une réinvention sociétale précieuse, avec des personnes s’employant « à faire ce qu’elles pensent être important, souhaitable et qui agissent aux endroits où elles ont quelque chose à apporter, ou bien quelque chose qu’elles souhaitent apprendre et développer ».

Cette société est possible d’après les auteures : elle est le point de chute du corporate hacking.« En attendant ce changement, il faut montrer l’exemple. Etre l’incarnation d’une nouvelle promesse, d’un autre possible, plein de dissidence, de plaisir à être et à faire, d’impertinence et de libre arbitre », écrivent-elles.

« Makestorming. Le guide du corporate hacking », de Stéphanie Bacquere et Marie-Noéline Viguié (Diateino, 198 pages, 24 euros).

Margherita Nasi

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