L’endogamie matrimoniale progresse fortement depuis les années 1970.

Au cours des dernières années, le débat sur la reproduction sociale des élites s’est cristallisé autour de ce que Pierre Bourdieu appelait l’habitus, c’est-à-dire la captation par la bourgeoisie d’usages, barrières à l’entrée de classe. Plus récemment, Thomas Piketty mettait en évidence dans « Le Capital au XXIe siècle » le poids de l’héritage dans la transmission des inégalités intergénérationnelles. Néanmoins, un nouveau front encore peu défriché commence à nourrir ce débat outre-Atlantique : l’endogamie matrimoniale, ou « assortative mating. »

Le mariage s’impose aujourd’hui comme une sanctuarisation de la position sociale. Selon un rapport de l’OCDE de 2011, 40 % des couples mariés ont un niveau de rémunération comparable, alors qu’ils n’étaient que 33 % il y a vingt ans. Parmi ces 40 %, deux tiers des couples ont le même niveau d’éducation. Dans un essai très remarqué paru en 2012, intitulé « Coming Apart », l’économiste conservateur Charles Murray pointait qu’entre 1960 et 2005, la part des hommes diplômés du supérieur se mariant à des femmes, elles aussi, diplômées du supérieur a doublé, passant de 25 à 48 %. Certes, les femmes diplômées sont plus nombreuses, mais il s’avère aussi qu’elles se marient davantage avec leurs pairs diplômés. C’est ce que l’économiste J. Greenwood et son équipe avaient démontré en 2014 dans l’étude « Marry Your Like : Assortative Mating and Income Inequality ».

Les conséquences de l’endogamie matrimoniale sur les inégalités de revenus sont plus grandes que dans les années 1970, à cause de la montée en puissance des femmes dans le monde du travail. Les femmes mariées sont beaucoup plus nombreuses à travailler que par le passé. Aux Etats-Unis, elles gagnent aujourd’hui en moyenne 78 % du revenu de leur conjoint, contre seulement 52 % en 1970. Aussi le mariage endogamique accentue les inégalités de revenus entre les différents ménages. Certes, selon le Bureau of Labour Statistics, le taux de femmes gagnant plus que leur conjoint continue de progresser, passant de 18 % en 1990 à 29 % en 2015 mais l’écart de rémunération – appelé « marital pay gap » – dans ces couples reste faible, et n’est pas un facteur de résorption des inégalités. La figure des héroïnes s’arrachant à leur condition par leur mariage, si présente dans les romans de Flaubert ou de Maupassant, s’est bel et bien évaporée.

L’entre-soi des mariés

Les raisons du mariage endogamique ont été étudiées. Betsey Stevenson et Justin Wolfers, de l’université du Michigan, ont mis en avant l’importance du partage des centres d’intérêt et du consensus autour d’un projet ­commun, notamment les enfants, dans les choix présidant au mariage. Ces éléments seraient plus prononcés de nos jours que par le passé. Selon les chercheurs, cela est largement dû à l’émancipation des femmes, mais également au fait que les femmes plus éduquées se marient en moyenne plus tard et forgent ainsi une opinion plus contrastée de leur projet matrimonial.

L’inflation des frais de scolarité des établissements dans l’enseignement supérieur et leur fermeture aux milieux modestes a renforcé l’endogamie, étant donné leur importance en tant que lieux de rencontres. Enfin, les effets spatiaux de l’économie numérique, mis en évidence par Enrico Moretti dans « The New Geography of Jobs », ont poussé à la concentration des personnes les plus diplômées dans les hypercentres des métropoles, accroissant les opportunités de rencontres endogamiques. L’« assortative mating » creuse les inégalités dans la société. Cette tendance renforce le phénomène de sécession des élites, dont l’extraction progressive du reste de la population nourrit les passions délétères, et mine toujours un peu plus la cohésion du corps social.

FAYCAL HAFIED & ROBIN RIVATON

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