La lumière rend optimiste et les pessimistes voient moins la lumière. Noir c’est noir !!

L’âme et le corps, vieux débat. Depuis plusieurs années, les recherches en psychologie explorent l’influence des sentiments sur les sensations physiques. Ainsi, on a montré que la nostalgie, en plus de réchauffer le cœur, faisait percevoir la température d’une pièce comme plus élevée, que le sentiment d’impuissance rendait les valises plus lourdes, ou que le dégoût moral – induit par exemple par une injustice – se transcrivait en dégoût physique en exacerbant les réactions aux stimuli gustatifs et olfactifs (le bien connu « ça me donne envie de vomir »).

Dans une étude publiée fin juillet par la revue Social Psychological and Personality Science, une équipe sino-canadienne a entrepris de vérifier si cette interaction entre le spirituel et le matériel jouait pour un autre sentiment, l’espoir – et son antagoniste, le désespoir. Etant donné que, dans le langage et l’imaginaire collectif, ces deux états d’âme se communiquent à travers des expressions impliquant la lumière (la fameuse lueur d’espoir) ou son absence (« Noir c’est noir », chantait le grand philosophe Johnny), ces chercheurs ont monté une série de tests afin de déterminer si, pour les désespérés, le monde était réellement plus sombre que pour les autres.

Eclairage et température

Pour leur première expérience, ils ont réparti en quatre groupes 183 étudiants. Ceux-ci devaient se remémorer et raconter un événement teinté d’espoir, de désespoir, de tristesse (pour vérifier que ce sentiment n’avait pas le même effet que le précédent) et de rien pour le groupe témoin, lequel devait décrire une journée typique en classe (en souhaitant que l’université n’apporte ni espoir ni désespoir…). Après cela, les cobayes passaient à une autre tâche et évaluaient les diverses caractéristiques de la salle d’expérience : l’éclairage (nous y voilà), le confort et la température. Au bout du compte, les étudiants imprégnés de désespoir ont trouvé la pièce moins lumineuse que les autres. Deux tests analogues ont confirmé ce résultat auprès d’autres panels.

Puis les chercheurs ont voulu explorer le lien dans le sens inverse, savoir si la luminosité ambiante jouait sur le moral des troupes. La moitié de leur groupe a été testée dans une pièce éclairée comme la figure d’un suspect dans un commissariat de série B (20 ampoules allumées), tandis que l’autre moitié ne bénéficiait que de 4 ampoules. On demandait aux étudiants leur sentiment sur leur avenir, s’ils pensaient être embauchés dans l’entreprise de leurs rêves, s’ils auraient un bon salaire, etc. Ils notaient ces perspectives de 1 (je vais finir sous les ponts) à 9 (je serai le roi du pétrole). Et qu’advint-il ? Les personnes interrogées en pleine lumière voyaient le futur sous un jour plus optimiste que les autres. Les auteurs de l’étude en concluent qu’en cas de récession, les décideurs politiques devraient y réfléchir à deux fois avant de demander aux populations de faire des économies d’électricité, pour ne pas les enfoncer davantage…

On ne saurait terminer cette chronique sans évoquer la légendaire lumière « au bout du tunnel » que Raymond Barre, espérant la sortie de la crise économique des années 1970, disait apercevoir, imité ensuite par tous les premiers ministres qui se sont succédé à Matignon. Si ces braves gens avaient un peu regardé les aventures de Bip Bip et du Coyote, illustrations parfaites de la loi de Murphy – « tout ce qui peut mal tourner va mal tourner » –, ils sauraient que la lumière au bout du tunnel est celle d’un train qui fonce vers nous.

Pierre Barthélémy

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