Rendre compte de l’identité du message macroniste, c’est en premier lieu saisir les spécificités de son expression. Ce dessein constitue l’ambition principale de l’ouvrage de Damon Mayaffre, Macron ou le mystère du verbe.

En s’inspirant des dernières avancées en matière d’Analyse de données textuelles, l’étude réalisée s’attache à déconstruire les mécanismes discursifs – souvent considérés comme insaisissables ou difficilement intelligibles – employés par le Président en exercice.

Pour l’auteur, le positionnement politique d’Emmanuel Macron peut être distinctement identifié et la clarté émanant des mesures proposées par l’exécutif permettrait assez aisément de déterminer son orientation politique1. En revanche, ses mots – témoins et acteurs d’un renouvellement incomparable de la parole présidentielle – demanderaient à être décryptés, afin de rendre compte de l’idéologie et des stratégies de communication d’un homme qu’il est possible de qualifier de « logogriphe », c’est-à-dire d’énigme verbale.

L’objectif de cet ouvrage a donc été de s’attaquer à cette énigme par une revue complète des discours les plus emblématiques tenus par Emmanuel Macron (en qualité de candidat à l’élection présidentielle, puis de Président de la République) afin de mettre en lumière les mots par lesquels il pense le monde, communique avec les Français, et gouverne le pays. Pour cela, l’auteur nous propose une investigation précise et rigoureuse des thèmes et des particularités syntaxiques de la parole macronienne, de l’idéologie et des messages (explicites ou subliminaux) véhiculés par le choix des mots, bref, du positionnement politique réel d’un candidat puis d’un Président qui a toujours refusé de souscrire à une quelconque assignation partisane.

Les discours produits par Macron, systématiquement comparés à ses principaux concurrents lors de la campagne présidentielle de 2017 (Le Pen, Fillon, Hamon, Mélenchon) ou à ses prédécesseurs à l’Élysée (de De Gaulle à Hollande), ont été soumis à un traitement informatisé dans le but d’exposer des phénomènes linguistiques, quantitatifs ou qualitatifs, difficilement perceptibles par une lecture classique de documents. Dans le cadre de cet ouvrage, deux méthodes d’analyse ont été mobilisées, la logométrie (herméneutique numérique permettant de décrire un corpus de discours avec la rigueur statistique et linguistique nécessaire)2, et l’intelligence artificielle (capable d’apprendre les discours, d’identifier et de reproduire les tournures, les rythmes, et les mots propres au locuteur)3. Utilisés de manière complémentaire, ces deux procédés nous offrent un meilleur niveau de compréhension du discours, et fournissent des informations statistiques et confirmatoires appuyant les conclusions heuristiques proposées dans l’analyse.

Le propos tenu par Mayaffre permet ainsi de repenser et de porter un regard nouveau sur les idées et les postures défendues par Macron. Organisé en trois parties, l’ouvrage entend d’abord proposer une définition idéologique, politique mais surtout discursive du macronisme. Discours en mouvement exprimant la nécessité d’opérer des « transformations profondes », de « libérer », mais aussi en même temps, de « protéger », le premier volet de l’étude démontre que le projet déclamé par Macron – en s’articulant autour de mots précis – postulerait le pragmatisme comme fondement d’une politique débarrassée de toute forme de dogmatisme qui empêcherait la mise au point de solutions présentées comme rationnelles, pertinentes, et donc nécessairement consensuelles.

En outre, régulièrement considéré comme disruptif et en rupture avec les dires de ses prédécesseurs, le discours de Macron est – dans la deuxième partie de l’ouvrage – replacé dans son contexte historique. Ce travail de recontextualisation permet ici de nuancer la dimension inédite de l’idéologie et du discours portés par le Président. Les procédés discursifs utilisés témoigneraient en réalité de son inscription au sein d’un héritage issu des dires et de la posture présidentiels, éprouvés de De Gaulle à Hollande, dont Macron serait la synthèse plus que le continuateur. Le discours du Président en exercice depuis 2017 rend ainsi hommage à ses prédécesseurs, partageant avec chacun de ces derniers (de manière certes inégale), des stratégies discursives, des éléments langagiers et des thèmes que Macron s’attache néanmoins à renouveler et à faire siens. Des éléments statistiques sont proposés par l’auteur, et viennent affirmer la pertinence de cette généalogie. Le discours sur le « travail » que Marcon partage avec Sarkozy constituerait la preuve la plus forte de son inscription dans un style discursif déjà mis à l’œuvre.

Dans un troisième et dernier temps, Damon Mayaffre nous propose un examen de l’actualité macronienne, en déterminant – par l’analyse des substantifs les plus utilisés par Macron – les quatre saillances thématiques du discours présidentiel. Structurés autour de questions économiques, sociales, sociétales et régaliennes, ces champs thématiques seraient – en raison du moment mais aussi des fondements de l’idéologie défendue par l’orateur – investis de façon particulière. Le propos sur l’économie serait par exemple revisité au prisme de l’« innovation » et du « numérique », érigés au rang de vitrine d’un discours libéré des problématiques de « croissance » ou de « chômage ».

Enfin, les dernières pages de l’ouvrage dévoilent au lecteur la clé de l’énigme Macron en proposant un démantèlement minutieux des éléments qui singularisaient la parole et la posture inédites du Président. Ce travail de décryptage – mené tout au long de l’étude – permet à l’auteur de nous proposer une définition nouvelle du macronisme. Ce dernier pourrait se définir comme une tentative de conciliation de dynamiques paradoxales (droite et gauche, libération et protection, etc.). Effectivement, en synthétisant des stratégies politiques et discursives déjà éprouvées, en s’attachant à renouveler les modalités d’investissement thématique de questions traditionnelles de la vie politique, en s’appuyant sur un langage riche et faisant ressortir la complexité des questions à traiter, Macron tente par ses mots de construire et d’incarner une nouvelle voie/voix pour la France, en même temps novatrice et rassurante, capable de penser le monde seulement selon des ambitions d’efficacité, et non selon des postures idéologiques que les Français ne souhaiteraient plus voir en action. Le discours décrirait ainsi, tel un oxymore, une Révolution capable de maintenir le statu quo. Pour l’auteur, le recours à des verbes forts exprimerait cette volonté de rupture (fonder, nouer, naître, inventer, trouver) qui serait cependant nuancée par l’ajout du préfixe r- permettant de matérialiser discursivement la nécessité de contenir la portée des changements promis, voire de revenir en arrière (re-fonder, re-nouer, re-naître, ré-inventer, re-trouver).

Somme-toute, l’ouvrage permet de défaire la dimension disruptive et fondamentalement moderne de l’idéologie et des dires d’Emmanuel Macron. À la fois de droite et de gauche dans ses mots, à la fois porteur d’un discours techno-libéral et humaniste, en même temps défenseur de l’ordre, de la valeur travail et de l’égalité (notamment lorsqu’elle concerne le genre), la parole du Président est ici mise à nu. La « Révolution » macronienne est ici réétudiée, et le discours mise au service de celle-ci, souvent présenté comme moderne et déraciné, est ici réinscrit dans un univers discursif concret. Certes, le Président se permet des libertés en renouvelant certaines modalités d’investissement thématique sur des questions emblématiques de la vie politique, mais il met un point d’honneur à s’inscrire dans une tradition forgée par ses pairs et par la société dans laquelle il évolue, et dont il ne saurait, ni ne pourrait se détacher. L’ouvrage permet ainsi d’opérer une sorte de démystification du caractère inaccoutumé souvent attribué aux mots du Président en exercice. Il offre une perspective inédite de cette parole présidentielle, qui avait lors de son avènement, suscité tant d’interrogations.

Une question demeure cependant. En dépit des résultats convaincants proposés par la logométrie et l’intelligence artificielle, cette dernière allant jusqu’à nous proposer ce que pourrait être le discours de candidature de Macron pour la prochaine campagne présidentielle, le caractère exceptionnel et complexe de la seconde partie de mandat (allongement indéterminé du contexte de crise sanitaire, succès en demi-teinte du parti du Président aux dernières échéances électorales à date, etc.), questionne sur l’efficacité d’un discours qui ne peut se permettre de proposer le besoin de « transformations profondes » comme horizon perpétuel, au risque d’invalider l’action menée en amont. Les saillances les plus fortes du discours présidentiel pourraient donc être amenées à s’affiner avec le temps et être revisitées à l’aune du défi que représente une éventuelle course à la réélection.

Sofiane Haris

Damon Mayaffre. 2021. Macron ou le mystère du verbe. Ses discours décryptés par la machine, Paris : Editions de l’Aube, 344 p.

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