La perception française du maintien de l’ordre allemand résiste mal à l’examen des faits. La “désescalade” est loin d’assurer l’absence de violences policières.

Face aux échecs répétés du maintien de l’ordre en France, la “désescalade” est présentée comme une technique efficace. Or, la recherche allemande montre qu’elle englobe un ensemble de pratiques propices à attiser les tensions. Si l’Allemagne peut constituer un modèle, c’est parce qu’elle renonce à la plupart des armes “non létales” utilisées en France.

Constamment alimentés par de nouvelles violences policières et tensions en manifestation, les échecs du maintien de l’ordre en France ont produit un intérêt pour le modèle allemand de la “désescalade”. Or, véhiculée par un nombre croissant d’interventions, la perception française du maintien de l’ordre allemand résiste mal à l’examen des faits. La “désescalade”, loin d’assurer l’absence de violences policières, est en réalité un mot fourre-tout régulièrement utilisé pour justifier des pratiques liberticides et des interventions violentes.

La récurrence des violences policières

À l’occasion de grandes mobilisations, les techniques du maintien de l’ordre font régulièrement débat en Allemagne. La raison de ces débats est la récurrence des violences policières à travers tout le pays: Rostock 2007, Stuttgart 2010, Francfort 2015, Hambourg 2017, Forêt de Dannenröder 2020, Rhénanie 2020… Cette réalité se situe aux antipodes de la représentation idyllique de la police d’Outre-Rhin qui règne souvent en France.

Une étude allemande récente enfonce le clou: elle chiffre le nombre annuel de cas de violences policières à 12.000 et souligne que moins de 1% de ces cas sont sanctionnés par la justice. Autrement dit, les violences policières, et l’impunité qui les favorise, sont un problème significatif en Allemagne.

La “désescalade”: Un mot fourre-tout

Les recherches d’une équipe de criminologues de l’université de Bochum ont récemment montré que les violences policières se produisent principalement dans le cadre du maintien de l’ordre. Ces résultats viennent corroborer les observations sur la “désescalade” d’une étude antérieure. Cette dernière montre que la “désescalade” comprend en réalité un ensemble de pratiques très contraignantes comme des contrôles intensifs avant les manifestations, une police très proche des manifestants et des interdictions de séjour.

Au-delà du caractère liberticide de ces mesures, l’auteur de l’étude illustre que la “désescalade” s’apparente à un dispositif de communication de la police pour masquer le caractère violent du maintien de l’ordre. Ainsi, même les interventions policières manifestement violentes et animées par une volonté de confrontation sont présentées comme une pratique de “désescalade”.

Désarmer pour apaiser

Propice au développement de violences policières et basée sur le soupçon préventif, force est de constater que la “désescalade” inspire déjà les pratiques policières en France: depuis quelques années les contrôles à l’entrée des manifestations se multiplient, les nasses ont été banalisées et régulièrement un dispositif mobile des forces de l’ordre suit de près, sur le trottoir, l’avancement des manifestants. Le nouveau schéma national du maintien de l’ordre s’inscrit pleinement dans cette stratégie de la tension.

Néanmoins, pour réduire les violences policières, il existe bien un domaine dans lequel le maintien de l’ordre allemand pourrait représenter un vrai modèle. Contrairement à leurs homologues français, les policiers allemands ne sont pas équipés en balles en caoutchouc et grenades. La simple disponibilité de ces armes “non létales” est en effet en grande partie à l’origine de l’escalade des violences policières en France, y compris chez les forces spécialisées dans le maintien de l’ordre.

Suggérer qu’une arme est par nature “non létale”, donc quelque part inoffensive, incite les policiers à y recourir avec plus de facilité. De plus, la présence de telles armes dans l’équipement leur donne une confiance accrue dans leur capacité à gérer une situation par la force. Ces effets s’observent dans les statistiques pourtant incomplètes du Ministère de l’intérieur: entre 2009 et 2018 le recours aux balles en caoutchouc a été multiplié par 480 pour atteindre le chiffre vertigineux de plus de 19.000 tirs sur des civils. Face à ce constat, la voie de l’apaisement commence par le désarmement, et un débat sur les finalités de la police.

Paul Rocher

Paul Rocher, Gazer, mutiler, soumettre, Paris, Éditions La Fabrique, 2020, 13 euros.

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