Pour la première fois, des chercheuses françaises consacrent une étude à l’auto conservation des ovocytes pour raison d’âge, une technique interdite en France.

La liberté des femmes de mettre leur horloge biologique en sourdine tient-elle à un congélo ? Leur permettre de vitrifier (congeler rapidement) leurs ovocytes et de les stocker (à moins 196° dans de l’azote liquide) n’est-elle pas leur meilleure chance de s’affranchir du tic-tac flippant du temps qui passe ? Ils sont de plus en plus nombreux à le penser, comme le collectif Bamp, association de patients confrontés à des problèmes de fertilité ou le Collège national des gynécologues et obstétriciens français, qui refuse de fermer les yeux sur des chiffres qui font tilt : le pic de fertilité d’une femme est à 22 ans, les chances de concevoir baissent drastiquement à 35 ans (12% par cycle, puis 6% à 40 ans) alors que les femmes font des enfants de plus en plus tard : l’âge moyen d’une première maternité se situe désormais selon l’Insee à 30 ans et quatre mois (contre 24 ans dans les années 1970).

Problème, ce bon plan du congélateur qui a, en outre, le mérite de mettre davantage d’égalité entre les femmes et les hommes face à la procréation, est interdit dans l’Hexagone, alors qu’il est autorisé dans moult pays voisins (Espagne, Belgique, Royaume-Uni, Italie, Ukraine, Chypre…). Comment éclairer et attirer l’attention des politiques sur l’importance de cette question ? Comment préparer la voie pour autoriser au mieux cette technique dans notre pays ?

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Pour la première fois en France, paraît ce vendredi une étude qualitative consacrée à cette possibilité offerte par cette avancée de la science. Aux manettes : le centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin à Paris qui consacre en sus une journée de colloque à la question. Dans le rôle des enquêtrices : le duo Laurence Brunet, juriste, spécialiste en droit de la famille et chercheuse à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, et Véronique Fournier, directrice du centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin, en collaboration avec la psychanalyste et chercheuse en sciences humaines Geneviève Delaisi de Parseval et la sociologue directrice de recherche au CNRS Dominique Mehl.

Pénurie de gamètes

Après de longs entretiens conduits de novembre 2013 à octobre 2015 auprès de 63 femmes (des sans enfants âgées de 25 à 43 ans, des femmes gynécologues de terrain et de femmes ayant dû recourir à un don d’ovocytes pour enfanter), le souhait est avéré : oui, il faut lever le véto français à « l’autoconservation ovocytaire pour raison d’âge », technique à ce jour réservée à celles dont la stérilité est menacée par un traitement médical (lors d’un cancer, par exemple). Ou partiellement accessible depuis fin 2015 à condition de bien vouloir au passage donner la majeure partie de ses gamètes à d’autres. (1)

Dans cette première étude, les arguments de celles qui n’ont eu d’autres choix que recourir à un don d’ovocytes – notamment en raison de leur âge – pour fonder une famille sont particulièrement convaincants. Face à la pénurie française des précieux gamètes et la limite d’âge de 43 ans pour bénéficier d’une prise en charge par la Sécu, elles ont toutes dû se rendre à l’étranger : aux Etats-Unis, en Tchécoslovaquie, au Royaume-Uni et en Espagne. Alors heureuses d’être devenues mères ? Oui mais…

Laurence Brunet : « Même si l’enfant est là, elles parlent d’une expérience dure, d’une épreuve. Quand on les a interrogées, il y a eu des pleurs. Une difficulté à en parler. Pour beaucoup d’entre elles, la grossesse n’a pas effacé la “rupture génétique”, l’intervention d’une tierce personne: la donneuse. Certaines continuent à en souffrir au quotidien, et dans certains cas à se sentir en concurrence avec la mère de leur époux. » Selon la chercheuse, « elles déroulent des histoires pleines de méandres. Et souvent une concentration de leur vie et de celle de leur couple, parfois excessive, autour de l’enfant. Probablement en compensation de ce qu’elles ont eu à subir pour en arriver jusque-là. » Pour ces femmes, pas de doute, elles auraient pu s’éviter cette épreuve si l’autoconservation de leurs ovocytes avait été accessible…

Du mal à se projeter

Et les autres, celles qui sont en âge de procréer mais n’ont pas d’enfant ? Quel que soit leur âge, en majorité, elles revendiquent aussi l’accès à ce joker au nom de « la liberté procréatrice ». Mais sans pour autant rêver de devenir des mères tardives . Le « trop tard » étant, selon elles, à 45 ans. Mais ces femmes sont-elles prêtes à le faire? Là, ça se complique quelque peu. Notamment chez les plus jeunes. Laurence Brunet : « Avant 30 ans, si les gynécos leur parlent d’horloge biologique, elles ont tendance à fuir. Elles souhaitent être informées sur cette possibilité, mais plutôt par les médias. Elles sont assez romantiques, attendent le prince charmant et ont du mal à anticiper. »

Problème, les ovocytes congelés ont l’âge auquel ils ont été vitrifiés. Et les chances de grossesse sont supérieures, quand ils sont prélevés avant 35 ans. Autre constat: nombre de jeunes femmes sont « assez naturalistes », préfèrent un stérilet à la pilule par exemple, et ont du mal à se projeter dans des traitements médicamenteux stimulant la production d’ovocytes (il faut une vingtaine d’ovocytes au congélo pour mettre toutes les chances de son côté).

Pas une « baguette magique »

Et les autres ? Certaines qui veulent se donner le temps de trouver « le bon » l’ont déjà fait à l’étranger. Parfois un peu tard. Qui sont ces femmes ? Elles font partie des plus informées et des plus aisées (celles qui ont pu dépenser 4.000 euros au maximum, traitements et voyages compris), comme au temps des années 70, quand seules les plus « in » filaient en Grande-Bretagne se faire avorter.

Au milieu de ce beau monde, il y a les gynécos. Pour ces médecins, l’idéal serait que la société se concentre sur « la création d’un environnement social et financier qui incite les femmes à faire des enfants tôt ». Ils redoutent que l’ouverture de cette technique invite les femmes à procrastiner et mettent en garde sur ce qui n’est pas une « baguette magique » (le taux de succès varie de 20 à 40% selon l’âge et les études)… Mais à la majorité, oui, les gynécos interrogées souhaitent une ouverture de la loi. Laurence Brunet : « Elles pensent que cela les aiderait à parler de l’horloge biologique à leurs patientes, sans avoir à se contenter de leur dire : dépêchez-vous. » Alors qu’est-ce qu’on attend ?

(1) Si le nombre d’ovocytes recueillis après stimulation atteint moins de 5, aucun ne pourra être conservé par la donneuse. S’il y en a entre 6 à 10, cinq seront destinés au don. Au-delà, la règle du 50/50 s’applique.

Catherine Mallaval

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