Le gouvernement d’Edouard Philippe affiche une moitié de personnes issues de la « société civile », et non du milieu politique. En réalité, seuls 5 de ses 23 membres n’ont jamais travaillé avec des politiques.

C’est devenu un étendard de La République en marche : l’entrée de la « société civile » dans les institutions politiques serait la condition du renouvellement de la vie politique. La moitié des candidats LRM aux législatives, la moitié du gouvernement… Emmanuel Macron a fait la part belle à ces personnalités extérieures au monde politique. Mais l’expression « société civile » cache des situations très différentes et certains ministres désignés sous cette bannière sont loin d’être étrangers à la politique.

Qu’est-ce que la « société civile » ?

Le terme en lui-même est vague et très englobant. Il fait surtout référence à tous les acteurs non gouvernementaux, comme les associations, les cercles de réflexion ou encore les groupes d’intérêt. L’Union européenne, dans son Livre blanc sur la gouvernance y ajoute les syndicats, partenaires sociaux, les organisations non gouvernementales (ONG) ou les communautés religieuses. Pour simplifier, la société civile désigne tout ce qui émane d’une initiative citoyenne hors du cadre étatique.

Et c’est précisément la raison pour laquelle le terme a eu un tel succès durant la campagne présidentielle. Pour beaucoup de candidats, la « société civile » était une manière de désigner, voire de dénoncer, la professionnalisation de la politique. Charlotte Marchandise, qui avait remporté la primaire citoyenne en décembre 2016 sans parvenir à se présenter à la présidentielle, se revendiquait déjà de cette étiquette. Pour elle, il s’agissait d’être « hors des partis ».

Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon et Emmanuel Macron en ont également beaucoup vanté les mérites. Les premiers assuraient que la société civile en politique permettait le retour des citoyens au pouvoir et était un gage de démocratie. Pour Emmanuel Macron, elle était la condition au renouveau des pratiques politiques, incarnée selon lui depuis trop longtemps par les mêmes personnes.

Seuls 5 membres du gouvernement concernés

Dans le gouvernement, le premier ministre, sur les consignes d’Emmanuel Macron, a ainsi nommé onze ministres dits « de la société civile », au sens où ils n’exercent pas actuellement de fonction dans le monde politique. Pourtant, pour beaucoup, cela ne signifie pas qu’ils sont des « citoyens comme les autres », étrangers à la politique.

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Six d’entre eux sont soit militants, soit fins connaisseurs des arcanes du pouvoir. Ils ont tous déjà travaillé auprès de personnalités politiques et ne sont pas des néophytes du milieu. Et à en juger par leur parcours, ils ont tous des affinités politiques.

CEUX QUI SONT ÉCOLOGISTES

Le créateur de la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l’homme avait jusque-là refusé d’intégrer un gouvernement, mais il a malgré tout un engagement politique. Même s’il a conseillé Jacques Chirac comme Laurent Fabius, Nicolas Hulot a participé en 2011 à la primaire d’Europe écologie-Les Verts pour la présidentielle 2012. Il a ensuite été nommé « envoyé spécial pour la protection de la planète » par François Hollande, fonction qu’il a exercée jusqu’en 2016.

CEUX QUI SONT PROCHES DE LA GAUCHE

Elle a surtout été nommée à ce poste pour son engagement associatif au sein de réseau « Maman travaille ». Mais la plus jeune des femmes du gouvernement n’est pas étrangère à la politique. En 2001, elle s’est présentée aux élections municipales de Paris. Elle a ensuite été élue au Mans en 2014 sous les couleurs de la gauche ; couleurs qu’elle a également défendues aux départementales de 2015. Elle n’est pas non plus complètement dénuée d’expérience gouvernementale : en 2016, elle a participé au cabinet de Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes dans le gouvernement Valls III.

Son expérience à la tête de la RATP, entreprise publique des transports parisien, est mise en avant pour justifier de son expertise dans le domaine des transports. Mais la nouvelle ministre fréquente les cabinets ministériels depuis les années 1990, systématiquement dans des gouvernements socialistes. Elle a ainsi conseillé Lionel Jospin à l’éducation entre 1991 et 1993, puis à nouveau lorsque celui-ci était premier ministre de 1997 à 2002. Après son expérience dans le privé, elle renoue avec l’administration en intégrant le cabinet de Ségolène Royal à l’écologie entre 2014 et 2015.

Elle est surtout reconnue pour son expérience dans le privé, à la tête de Business France ou au sein des entreprises Danone et Dassault System. Mais la nouvelle ministre a également connu l’administration de 1985 à 1993, où elle a travaillé en collaboration avec les ministres du travail socialistes. Elle a également fréquenté les cabinets ministériels et a notamment été conseillère à la formation auprès de Martine Aubry de 1991 à 1993.

Le benjamin du gouvernement est connu pour son rôle en tant que responsable numérique de la campagne d’Emmanuel Macron. Sans jamais avoir été élu, il a été encarté au Parti socialiste, s’est impliqué dans la primaire de 2011 avant de participer à la campagne de François Hollande en 2012. Ce dernier l’a d’ailleurs nommé président du Conseil national du numérique en 2016.

CEUX QUI SONT PROCHES DE LA DROITE

Directeur de l’Essec, l’une des plus grandes écoles de management française, et ancien recteur de l’académie de Créteil, Jean-Michel Blanquer dit lui-même « ne jamais avoir fait de politique ». Il n’a effectivement jamais été militant. Mais il a une longue carrière dans l’administration, et plutôt auprès de gouvernements de droite. De 2006 à 2007, il exerce en tant que directeur adjoint de cabinet du ministre de l’éducation nationale de Jacques Chirac. De 2009 à 2012, sous Nicolas Sarkozy, il est le numéro deux du ministère dirigé par Luc Chatel à l’époque. Sans en rallier aucun, il a également été consulté et écouté par tous les candidats à la primaire de la droite.

Ils ne sont finalement que cinq sur vingt-trois à n’avoir jamais approché le monde politique et à être issus d’un tout autre milieu. C’est le cas de Laura Flessel, ministre des sports et ancienne escrimeuse, de Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées et dirigeante associative, d’Agnès Buzyn, ministre de la santé et médecin, de Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur et présidente de l’Université Nice-Sophia-Antipolis, et de Françoise Nyssen, ministre de la culture et éditrice.

Eléa Pommiers

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