Alors que le géant du luxe souhaite construire un centre de recherche sur le campus de l’école d’ingénieurs, un collectif d’élèves s’insurge, dans une tribune au « Monde », contre ce projet.

À l’heure où le positionnement des grandes écoles par rapport à l’intérêt général et à l’urgence environnementale est questionné, le projet de partenariat entre l’Ecole polytechnique et LVMH apparaît en totale inadéquation avec les objectifs et les valeurs revendiquées par la direction de l’Ecole.

En janvier, l’Ecole polytechnique annonçait en grande pompe la sortie de son plan climat. Quelques semaines plus tard, après plus de deux ans de mobilisation historique des élèves, TotalEnergies abandonnait son projet de centre de recherche au cœur du campus.

Fin juin 2022, à l’occasion de nos remises de diplômes, nos trois promotions ont appelé à mieux intégrer les enjeux sociaux et environnementaux dans les enseignements de l’Ecole et dans nos vies professionnelles.

Une respectabilité factice

C’est dans ce contexte que LVMH a annoncé, en catimini durant l’été, l’implantation d’un immense centre de recherche consacré au « luxe durable et digital » sur le campus de l’Ecole polytechnique. Le calendrier semble précipité : le projet doit faire l’objet d’une délibération d’un conseil d’administration exceptionnel de l’Ecole fin octobre 2022.

Trois cents chercheuses et chercheurs de LVMH devraient y travailler sur des problèmes techniques sélectionnés par la direction de l’entreprise, mais très éloignés des thématiques de recherche fondamentales de l’Ecole. Au programme : remplacement des plastiques par des alternatives plus écologiques dans des emballages de parfum, développement d’algorithmes de recommandation plus performants pour accroître la quantité de produits vendus, etc. Ou comment tout changer pour ne rien changer dans un groupe qui préfère mettre en place des aménagements à la marge plutôt que de repenser en profondeur son modèle de développement.

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Le grand bénéficiaire de cette opération d’implantation à Saclay (Essonne) serait donc sans aucun doute LVMH, qui pourrait cimenter une respectabilité factice sur la question environnementale et sécuriser un accès privilégié aux élèves du campus, tandis que les retombées du côté de l’Ecole seraient extrêmement maigres, tant sur le plan financier que scientifique.

Dans une France et une Europe en crise, menacées par les pénuries énergétiques et l’inflation, les défis oxymoriques du « luxe durable » mis en avant par le groupe de Bernard Arnault apparaissent bien dérisoires, voire indécents, face aux nécessités immédiates de la vaste majorité de la population.

Un lien de confiance déjà abîmé

Nous comprenons la volonté de l’Ecole polytechnique de créer des liens avec les entreprises françaises, et nous la soutiendrons dès lors que ce processus se fera dans la transparence et au bénéfice de l’intérêt général. Mais l’implantation de LVMH au cœur du campus, sans aucune contrepartie tangible pour l’Ecole, nous apparaît incompatible avec l’ambition d’un établissement responsable, en phase avec les enjeux de son époque.

Quelles sont les perspectives de formation et de recherche de l’Ecole polytechnique dans les décennies à venir ? Trouver des solutions pour l’industrie du luxe, afin de permettre au 1 % le plus riche de la population de continuer à consommer toujours plus ? Ou former des ingénieurs aptes à accompagner l’ensemble de la population pour faire face à la crise climatique et à l’effondrement de la biodiversité ?

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C’est pourquoi nous, diplômées et diplômés de l’Ecole polytechnique, engagés pour la mise en œuvre d’une transition écologique respectant les principes de justice sociale, nous opposons fermement à la concrétisation de ce projet délétère. Il ne pourrait que contribuer à dévoyer l’Ecole de sa mission première et à dégrader le lien de confiance déjà abîmé que le pays entretient avec ses élites.

Nous appelons les administratrices et les administrateurs de l’Ecole à refuser ce projet. Nous appelons également nos camarades, jeunes et moins jeunes, à se mobiliser contre ce projet, comme ils et elles ont su le faire contre TotalEnergies, et à faire entendre leur point de vue malgré les tentatives de passage en force.

Premiers signataires : Sylvain Breton (X15), Lise Dargentolle (X15), Gauthier Mukerjee (X15), Charlie Prétot (X15), Thomas Vezin (X15), Angel Prieto (X16), Jean-Baptiste Turmel (X16), Benoit Halgand (X17). Liste complète des signataires : https://gaia.polytechniquenestpasavendre.fr/tribune/

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