« Le changement c’est maintenant » annonçait François Hollande durant sa campagne de 2012. « Il faut que ça change » lui répondent aujourd’hui ses détracteurs. Un même argument pour justifier 2 points de vue qui s’opposent.
Les municipales 2014 ont eu le mérite de rejouer la « petite musique du changement », dans sa version politique, dont trois mélodies, en particulier, se font également entendre en entreprise lorsqu’il s’agit de « conduire le changement ».
Non toi non plus tu n’as pas changé
Le changement est-il source de progrès, d’évasion, d’inconfort, de crispation ? Il peut être tout cela à la fois, et même bien d’autres choses, la perception que nous en avons dépendant de la manière dont ses effets nous touchent et nous apparaissent positifs ou négatifs. Si, par exemple, vous dites à une personne « tu ne changeras donc jamais », il est probable que vous souhaitiez qu’elle change et constatiez son incapacité à le faire. A l’inverse, lorsque Julio Iglesias chantait « non toi non plus tu n’as pas changé », il s’efforçait de convaincre la femme aimée qu’elle était toujours la même, ce qui, dans le fait même qu’il le lui dise, indiquait le contraire. Autrement dit, dans ces 2 exemples, le changement est exigé ou dénié afin de faire coïncider la réalité avec ce que l’on voudrait qu’elle soit, certains diraient avec ses propres désirs.
C’est pourquoi deux personnalités politiques de bords opposés peuvent se réclamer du changement. Car si elles se réfèrent à une même dynamique, elles ne lui assignent pas les mêmes effets. Ce qui correspond à la première mélodie du changement en entreprise, dans laquelle le changement peut être un levier ou un frein selon que le projet qu’il promeut fait sens ou pas, autrement dit selon que les protagonistes perçoivent ou non les bénéfices qu’ils peuvent en tirer. De sorte que les entreprises connaissant désormais la chanson, certaines se sont dotées d’un pôle de consulting interne d’« accompagnement du changement », tandis que d’autres adjoignent aux groupes de pilotage « techniques » d’un projet une cellule centrée sur la dimension « humaine » du changement. Reste que l’impact de cet accompagnement dépend en grande partie non pas tant du changement à réaliser que du sens du projet qu’il vise.
Le paradoxe du changement
Georges Pompidou gagnait les présidentielles de 1969 en prônant « le changement dans la continuité », François Hollande celles de 2012 en affirmant « le changement c’est maintenant », ce que trois raisons principales peuvent expliquer :
- La première renvoie bien sûr aux fondements de familles politiques distinctes. Conservatisme vs progressisme, tradition vs innovation… chaque camp peut revendiquer des valeurs et des objectifs antagonismes, bien qu’il ne soit pas certain que cette distinction reste aujourd’hui aussi efficiente.
- La deuxième concerne le rapport au passé, sur lequel on s’appuie ou dont on se démarque, qui détermine le degré de changement nécessaire pour réussir le projet, ce changement pouvant aller jusqu’à se superposer, voire se substituer au projet lui-même.
- La troisième relève d’un « changement d’époque » marqué par plusieurs « crises », une « globalisation », ou encore un « désenchantement du monde » pour reprendre la formule de Marcel Gauchet, tous ces facteurs rendant caduque notre vision d’un monde stable et rassurant.
Ces paramètres se déclinent également dans la conduite du changement en entreprise :
- Tout d’abord, dans le jeu des relations hiérarchiques et avec les organisations sociales qui viennent expliciter certains antagonismes entre les acteurs en termes de valeurs, d’objectifs ou d’intérêts.
- Ensuite, dans les effets de rupture affichés ou estompés, selon que l’on considère que le changement est une opportunité ou un risque pour le projet à mettre en œuvre.
- Enfin, dans la succession ininterrompue de projets, voire leur empilement, qui peut donner le sentiment que « pendant les travaux la vente continue » ou que « rien ne change puisque tout change ».
Antagonismes d’intérêts, risque ou opportunité d’une rupture, changement permanent donc évanescent, ces trois paramètres contribuent à la deuxième mélodie du changement en entreprise. Ce qu’une salariée, mi amusée mi excédée, me résuma ainsi lors du lancement d’un nouveau projet : « En fait, on prend les mêmes et on recommence ! ». Renvoyant au phénomène bien connu de « paradoxe du changement » fondé sur le constat que « le changement est indissociable de son contraire : la permanence ». En d’autres termes, le changement s’oppose à ce qui est permanent pour construire une nouvelle réalité qui, une fois réalisée, tend à devenir elle-même permanente et donc à s’opposer au changement qui l’a promue, cette dynamique de formation d’une réalité fondée sur son opposition complémentaire avec le changement se reproduisant à l’infini.
Le changement c’est les autres
« Abstention record », « ces villes gagnées par le FN », « large victoire de la droite », « défaite historique du PS » (source site France Info 30 mars 2014), les municipales ont suscité de nombreuses hypothèses et analyses dont deux ressortent :
- La première renvoie à la volonté de changement des Français qui ne seraient pas loin d’entonner le premier couplet de l’Internationale « c’est l’éruption de la fin, du passé faisons table rase ».
- La seconde se réfère, elle, au désintérêt, à la passivité, voire au sentiment d’impuissance que ces mêmes Français éprouveraient, persuadés que « de toute façon ça ne changera rien » et que « rien ne changera ».
Attitudes qui alimentent la troisième mélodie du changement en entreprise que nous pouvons illustrer par un exemple. « De toute façon il n’y a rien à faire, dans un projet de changement, il y a toujours 25% d’opposants, 25% d’alliés et 50% de suiveurs » m’expliquait récemment un dirigeant, montrant ainsi qu’il avait été formé à la socio-dynamique. Ce qui eut le mérite de rappeler une évidence : en disant « il faut que ça change », nous supposons souvent « il faut qu’ils changent ». Ou, pour paraphraser la formule de Sartre « l’enfer c’est les autres », nous avons tendance à considérer que « le changement c’est les autres » et qu’effectivement c’est l’enfer. Ce qui serait une manière de projeter ou rejeter le changement, ou son absence, sur les autres. Ce qui serait une façon d’éviter la question de sa propre croyance en une réalité qui « ferait loi », à laquelle il s’agirait de s’opposer ou de se soumettre, au lieu de s’y construire en la construisant.
L’interstice du changement
Ecoutons, pour conclure, ce que Marc Augé nous dit, dans son ouvrage « Non-lieux », de la reconfiguration des mondes contemporains marqués par « la surabondance événementielle » : « ce qui est nouveau, ce n’est pas que le monde n’ai pas, ou peu, ou moins de sens, c’est que nous éprouvions explicitement et intensément le besoin de lui en donner un ». Dans cette recomposition, le changement n’est pas – plus ? – garant de sens, de réalité ou d’identité. Au contraire, sa « petite musique » nous rappelle que la réalité n’est pas du registre de la vérité, qu’elle n’est ni tout ni rien, et que c’est dans cet interstice que le changement opère.
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