Changer la culture Volkswagen ? Je ne peux partager cette remarque sur une éventuelle « peur du chef » répond Matthias Müller.

Mon commentaire

Rappel des faits marquants

  • Trucage de moteurs diesel au moyen d’un logiciel fraudeur pour fausser les résultats des tests antipollution et entrer dans les normes américaines.
  • On évalue le nombre de véhicules concernés à 11 millions.
  • Ce trucage débute en 2005 (?) et le scandale éclate en septembre 2015.
  • Il est découvert aux Etats-Unis par l’ONG International Council for Clean Transportation.
  • Les émissions de gaz sont en fait jusqu’à 35 fois supérieures aux normes américaines.
  • Volkswagen perd 35% de sa valeur boursière entre le 21/09 et le 23/09 2015.
  • Le 23/09, Martin Winterkorn, patron de Volkswagen, démissionne remplacé par Matthias Müller, patron de Porsche.
  • Le montant de l’amende est théoriquement évalué à 18 milliards de dollars aux Etats-Unis.
  • « Une mise à jour complète et sans compromis de ce qui s’est passé est la condition préalable à la réorientation fondamentale dont Volkswagen a besoin » annonce Matthias Müller…

Les causes évoquées

Une enquête interne, supervisée par un cabinet d’avocats américains, est réalisée. La bataille des chiffres sur le nombre de personnes impliquées s’engage : « moins de 10 » pour la direction, « plusieurs douzaine de managers » selon certains médias.

La « culture » de l’entreprise est présentée comme la cause profonde à l’origine de ce scandale :

Soit parce qu’elle aurait fortement évolué ces dernières années : « alors que le groupe a été bâti sur un roc, et n’a jamais cédé à la précipitation, sa volonté hégémonique de croître à tout prix l’a conduit à raccourcir ses délais pour prendre de court ses concurrents ». La culture du résultat aurait produit « un management qui se voilerait la face sur les moyens dès l’instant où le but est atteint ».

Soit parce qu’elle n’aurait pas changé et alimenterait de longue date 3 caractéristiques VW : « une monarchie absolue », « un vœu de silence », « un sentiment d’impunité, voire d’arrogance ».

Les changements proposés

Changer le système de lanceur d’alerte qui n’a pas fonctionné ? Il n’est pas envisagé de le changer. Un système de protection pour les « lanceurs d’alerte » existe depuis une dizaine d’années chez Volkswagen. Un technicien aurait lancé une alerte en 2012 sans qu’il y ait d’effet. Un cercle élargi de salariés aurait évoqué dès 2006, au cours d’une réunion, l’utilisation d’un logiciel trompeur.

Changer la culture du résultat ? Elle est effectivement pointée du doigt par Mathias Müller qui déclare : « cette obsession des exemplaires écoulés et de nouveaux records de ventes a peu de sens, de mon point de vue ». Mais est-ce sérieusement envisageable dans un monde de concurrence ? Et avec quels impacts business ?…

Changer la culture VW ? Pour interdire à l’avenir ce type d’erreurs, les premières actions proposées sont des « changements dans la structure de l’entreprise » : « les employés ne resteront à leur poste qu’un certain temps et ensuite changeront de poste ». Les projets seront supervisés par 2 responsables. Objectif : « vérifier les choses, déterminer clairement les responsabilités, et permettre une meilleure supervision technique des procédures ».

Autrement dit, on met en cause la culture et on change les procédures.  Mais pourquoi et comment intervenir sur le « climat de toute-puissance technique chez VW », sur le « dogme des dirigeants selon lequel rien n’est impossible », que « ce qui n’est pas autorisé n’a pas le droit d’exister : on donne des objectifs et personne n’ose dire que ça n’est tout simplement pas possible » ?…

Or c’est bien la culture du résultat combinée à la culture de « toute-puissance » qui ont conduit à cette fraude à travers un mode d’organisation, de prise de décision, d’animation… et c’est bien leur déni qui risque de conduire… à ce que rien ne change.

Ce que confirme cet entretien avec Matthias Müller qui, à la question « entendez-vous réformer la culture maison, qui était fondée, selon certains, sur la peur du chef ? », répond : « Je ne peux partager cette remarque sur une éventuelle « peur du chef ». J’ai travaillé de longues années avec Martin Winterkorn, l’ancien président du directoire. C’est un homme très compétent, très ouvert à la coopération. Peut-on lui reprocher d’avoir été très ambitieux pour hisser Volkswagen au rang de premier constructeur mondial automobile ? ».

Dont acte.

L’article

« Regagner la confiance des clients. » Ebranlé fin 2015 par le scandale des moteurs diesel truqués, qui entraîne le rappel de 11 millions de véhicules dans le monde, le groupe automobile allemand Volkswagen repart aujourd’hui à l’offensive. Nommé à la suite de la démission de Martin Winterkorn fin septembre, Matthias Müller, le président du directoire du groupe, a accordé au Monde son premier entretien à la presse française lors du Salon automobile de Genève.

Avez-vous pu établir les responsabilités précises au sein de l’entreprise concernant la mise en place d’un logiciel tricheur dans certains moteurs diesel du groupe Volkswagen ?

Il est encore trop tôt pour connaître l’étendue de cette affaire. Le conseil de surveillance du groupe Volkswagen mène cette investigation avec beaucoup de sérieux en s’appuyant sur un cabinet extérieur, Jones Day. Cette enquête demande du temps et beaucoup de travail car il faut passer en revue des décisions prises ces dix dernières années. Des centaines d’entretiens sont organisés et 102 téraoctets de données doivent être analysées. Jones Day nous a promis son rapport pour la mi-avril. Jusqu’à cette échéance, je demande votre patience.

Avez-vous constaté un effet sur votre image ? Les ventes des marques du groupe Volkswagen ont-elles souffert de ce scandale ?

Nous avons évidemment constaté un impact sur notre image à l’échelon international. Et ce, autant aux Etats-Unis qu’en Europe. C’est ce à quoi l’on pouvait s’attendre, notamment pour la marque Volkswagen. Heureusement, les prises de commandes restent à un haut niveau en 2016. Je suis optimiste. Nous réaliserons un bon exercice.

Comment regagner la confiance des consommateurs que vous avez trompés ?

Le plus important a été de trouver rapidement une solution technique pour remettre aux normes les moteurs diesel concernés et de bien informer nos clients. Nous avons désormais lancé la campagne de rappels en Europe, en attendant celle des Etats-Unis. L’intervention sur les moteurs prend au maximum une heure. Ce rendez-vous avec nos clients permet de renouer le fil et, je l’espère, de regagner leur confiance.

Afin de remettre aux normes l’un des moteurs concernés, vous installez une simple pièce de plastique. Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ?

La mise en place de ce composant ne s’effectue que sur l’un des moteurs diesel concernés par le rappel [ceux développés à partir de 2004]. Même s’il paraît banal, ce composant aurait été impossible à développer il y a dix ans car nous n’avions pas les outils pour imaginer cette pièce facilitant l’écoulement de l’air hors du moteur. Par ailleurs, il a fallu développer des solutions logicielles spécifiques pour les différentes variantes de moteurs. Je comprends que cette situation peut paraître ridicule.

Lorsque l’on regarde la dimension que cette affaire a prise pour notre groupe, et qu’on le rapproche du coût à investir pour régler ce « problème », on peut se dire que ce qui nous est arrivé est relativement surréaliste et inutile. Mais les choses sont ce qu’elles sont. Je veux désormais que toute la lumière soit faite sur cette affaire.

Aux Etats-Unis, Volkswagen a proposé à ses clients des compensations financières, pas en Europe. Comment justifiez-vous cette différence de traitement ?

Les cadres réglementaires et juridiques aux Etats-Unis et en Europe n’ont rien de comparable. La motorisation diesel aux Etats-Unis est bien moins développée qu’en Europe. Et du fait des réglementations, les solutions techniques nécessaires pour remettre à niveau nos moteurs des deux côtés de l’Atlantique sont différentes. C’est pour cela que nous réfléchissons aux solutions les plus adaptées à la situation réelle de chaque marché.

Lire aussi :   Scandale Volkswagen : pas d’indemnisation pour les clients européens

Avez-vous une idée précise du coût de ce scandale pour Volkswagen ? On parle de plusieurs dizaines de milliards d’euros…

Volkswagen est un groupe sain et dispose de bases financières très solides pour surmonter cette crise. Concernant le coût exact de cette affaire, je n’en ai pour l’instant aucune idée. Une chose est cependant sûre : les chiffres qui circulent dans la presse sont de simples spéculations. C’est la raison pour laquelle nous avons reporté la présentation de nos résultats financiers annuels, prévue début mars, pour y voir un peu plus clair.

Entendez-vous réformer la culture maison, qui était fondée, selon certains, sur la peur du chef ?

Je ne peux partager cette remarque sur une éventuelle « peur du chef ». J’ai travaillé de longues années avec Martin Winterkorn, l’ancien président du directoire. C’est un homme très compétent, très ouvert à la coopération. Peut-on lui reprocher d’avoir été très ambitieux pour hisser Volkswagen au rang de premier constructeur mondial automobile ?

Lire aussi :   La culture de la peur à l’origine du scandale Volkswagen

En ce qui concerne les émissions de polluants, nous avons analysé notre structure et nos processus de décision. Nous avons repéré certains problèmes auxquels nous avons déjà remédié. Parallèlement, nous avons décidé de réorganiser le groupe, afin de décentraliser davantage la décision. L’idée est de confier plus de responsabilités aux différentes marques et de faciliter les synergies dans les chantiers actuellement ouverts, comme la digitalisation de l’automobile ou l’électrification des véhicules. Enfin, le groupe a profondément renouvelé sa direction en recrutant notamment de nouveaux cadres à l’extérieur. Sept des dix membres du directoire du groupe Volkswagen sont nouveaux.

Au sein de la gouvernance de l’entreprise, personne n’a tiré la sonnette d’alarme : ni les pouvoirs publics, ni les actionnaires familiaux, ni les syndicats. La cogestion à l’allemande a-t-elle failli ?

La cogestion à l’allemande est un modèle de réussite. Je l’ai expérimentée à divers postes et j’en retiens que cela permet un équilibre utile entre la direction et les salariés… Pour moi, c’est toujours un modèle d’avenir. Avec la mutation liée à la digitalisation du monde du travail, la cogestion permettra de trouver des solutions équilibrées pour tous les salariés. Quant à la question des gaz polluants, l’enquête déterminera les responsabilités.

Le grand public a découvert que les véhicules diesel ne respectaient que rarement les normes d’émission de polluants en condition réelle. Volkswagen paie-t-il pour les autres constructeurs ?

Je n’irai pas jusque-là. L’existence d’un décalage entre les normes d’émissions pour les moteurs diesel et la vie réelle est une évidence liée aux méthodes d’homologation existantes. Les constructeurs allemands ont milité ces dernières années pour faire évoluer le cadre réglementaire européen afin de se rapprocher de la réalité. Avec les nouveaux tests en « condition réelle » en préparation, les écarts existeront toujours, mais seront atténués.

Après le scandale Volkswagen, Toyota reste le premier constructeur mondial. Avez-vous renoncé à devenir numéro un ?

Nous souhaitons rester l’un des grands acteurs de l’automobile. Cela ne passe pas nécessairement par une augmentation de nos ventes, mais, par exemple, par une amélioration de notre rentabilité. Pour nos collaborateurs, nos actionnaires, nos fournisseurs ou nos concessionnaires, nous voulons devenir une entreprise meilleure qu’aujourd’hui. Et ce, à tout point de vue.

Philippe Jacqué

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