Depuis plusieurs jours, des internautes, dont beaucoup se réclament de la mouvance anarchiste ou de la gauche la plus radicale, assurent avoir été bloqués par le compte Twitter de la chaîne YouTube «ThinkerView».

Quelques dizaines d’internautes, ces derniers jours, affirment sur Twitter, captures d’écran à l’appui, avoir été bloqués par le compte de la chaîne YouTube, «ThinkerView».

Cette chaîne, qui compte aujourd’hui près de 450 000 abonnés sur YouTube, est connue pour ses entretiens au long cours (une à deux heures), sur fond noir, où seul l’interviewé est visible (de l’intervieweur, on entend seulement la voix grave). Parmi les personnalités reçues ces trois dernières années, pour ne citer qu’elles : Elise Lucet, Arnaud Montebourg, Jean-Luc Mélenchon, Juan Branco, Aymeric Caron, Natacha Polony, Emmanuel Todd, Barbara Stiegeler, Monique Pinçon-Charlot ou Edwy Plenel. Certains des entretiens, comme celui avec Juan Branco, dépassent le million de vues, quand la moyenne se situe davantage autour de 500 000. Des chiffres impressionnants pour un média lancé il y a sept ans, et qui reçoit chaque mois plus de 16 000 euros de dons sur la plateforme Tipee.

Pour répondre à votre question : de fait, ces derniers jours, le compte Twitter ThinkerView a bloqué un certain nombre, impossible à déterminer, de comptes Twitter, se réclamant souvent de la mouvance anarchiste, ou de la gauche la plus radicale. Mais d’autres personnes, suite à la publication de cet article, assurent également avoir été bloqués par le même compte, alors qu’ils ne disent ni anarchistes, ni de gauche radicale.

Contacté par CheckNews, «Sky», le cofondateur de la chaîne, dont on entend la voix dans les interviews de la chaîne, mais qui a toujours refusé de dévoiler publiquement son identité ou son visage, confirme : «Oui, depuis quelques jours, notre community manager bloque systématiquement les comptes qui nous insultent, nous diffament ou colportent toute diffamation à notre égard, en likant ou retweetant des messages.»

Sur Twitter, en réponse à un internaute qui s’interrogeait sur le sujet, le compte ThinkerView a publié une capture d’écran d’un message supprimé depuis, où l’on pouvait lire : «J’en ai pas encore fini avec vous ThinkerView, on va pas vous lâcher sales confusionnistes de merde.» Ce qui donne le ton des messages reçus depuis quelques jours par la chaîne YouTube sur Twitter.

Le cofondateur affirme que ces messages ont un lien direct avec la série de tweets publiés sur le même réseau les 24 et 25 août par le journaliste indépendant Olivier Cyran.

Le 24 août, le journaliste commentait ainsi une vidéo montrant François Boulo, porte-parole des gilets jaunes de Rouen, ovationné lors de passages aux universités d’été de La France insoumise qui se tenaient alors à Toulouse : «Ovation à la FI de François Boulo. Le même gars qui, le 25 février, sur la chaîne web d’extrême droite ThinkerView, plaidait pour une grande alliance de “tous les partis souverainistes, le FN, France insoumise, Dupont-Aignan, Asselineau”.»

ThinkerView, chaîne web d’extrême droite ? Le lendemain, le journaliste complétait sa série de tweets, en commençant ainsi : «C’est amusant, parce que plein de gens me tombent dessus fous furieux en mode : ThinkerView d’extrême droite, mais ça va pas ! Ils ont reçu Bégaudeau ! Et Branco ! Et Ruffin ! Et Plenel ! Et même Mathieu Rigouste ! Qu’est-ce que tu dis de ça, hein, ordure de gauchiste macronisé !»

« Les idées ne sont pas yaourts, toutes ne se valent pas »

Il développe ensuite : «ThinkerView reçoit aussi Chouard, Collon, Asselineau, Obertone. Obertone, oui, un faf tellement défoncé au racisme que ça le rend malade de voir ses bouquins imprimés en lettres noires – de l’encre blanche sur papier blanc, vite !» écrit le journaliste indépendant, faisant notamment référence à l’essayiste Laurent Obertone, auteur de la France Orange mécanique, essai liant délinquance et immigration publié en 2013 aux éditions Ring, et dont Marine Le Pen avait fait une promotion enthousiaste.

Pour Olivier Cyran, pas de doute cependant, ThinkerView est bien d’extrême droite : «Les idées ne sont pas yaourts, toutes ne se valent pas. Ce n’est pas évasion fiscale le lundi, violences policières contre les gilets jaunes le mardi et apologie du racisme le mercredi. Un Plenel n’annule pas un identitaire blanc qui idolâtre Anders Breivik», écrit-il sur Twitter, avant d’ajouter : «Ce qui reste, une fois qu’on a mélangé tout ça dans la touilleuse, c’est l’idée qu’une idéologie raciste homicide a droit de cité, qu’on peut papoter et faire des centaines de milliers de vues avec.» Il conclut ainsi sa série de messages : «Une ligne éditoriale qui met Rigouste et Obertone sur le même plan est une ligne éditoriale d’extrême droite, car c’est l’extrême droite qui en sort gagnante. Et si dire cela déclenche une salve de cris indignés, c’est peut-être parce que la confusion a déjà porté ses fruits.» Le journaliste indépendant fait ici référence à Mathieu Rigouste, sociologue, essayiste et militant anti-sécuritaire, interviewé en février 2018 sur la chaîne.

Dans la foulée, le compte Twitter de ThinkerView a donc décidé de bloquer celles ou ceux qui partageaient, likaient cette série de messages ou en partageaient l’analyse. «Ça nous fait mal de bloquer, ce n’est pas du tout dans notre philosophie. Sur les six premières années, on a dû bloquer 15 personnes», assure Sky à CheckNews. Ce chiffre a fait réagir plusieurs personnes sur Twitter, suite à la publication de cet article, qui affirment que ces blocages remontent à plus longtemps.

Le site a également réagi très vertement, toujours sur Twitter à un billet de blog(plutôt positif) intitulé : «ThinkerView préfigure l’avenir des médias» et publié le 28 août. En réponse à la publication de cet article sur le compte du blog en question, «Signaux faibles», ThinkerView a ainsi écrit : «Salut, on va t’expliquer un truc, on en a marre de se faire diffamer. Pendant des années on a bouffé vos quolibets idéologiques colportés, la communauté nous a donné les moyens d’employer David Koubbi [avocat parisien, ndlr], préparez-vous. L’ère où vous cognez les petits est révolue.»

Dans le viseur de la chaîne, la formule «son prisme complotisme» dans le paragraphe suivant : «ThinkerView suscite pourtant un certain nombre d’agacements et de critiques, qui tiennent en large partie à son intervieweur. Celui qui se fait appeler Sky […] fait grincer quelques dents : sa façon tantôt nonchalante tantôt agressive de mener ses entretiens, son prisme complotiste ou son choix d’accueillir certaines personnalités controversées sont des critiques récurrentes à son égard, pas dénuées de vérité.»

« Les gens peuvent juger par eux-mêmes »

A CheckNews, Sky confirme sa volonté de porter plainte : «On s’est donnés les moyens, grâce à l’argent récolté d’avoir une cellule dédiée uniquement à cela. Dès que l’on nous crachera à la gueule désormais, ce sera plainte en diffamation.»

Celui qui affirme que ces critiques n’émanent que d’une partie «ultra-minoritaire de la gauche la plus radicale», assure avoir été «choqué» par la violence de certains messages reçus depuis quelques jours. «Ils sont encore plus agressifs que les mecs d’extrême droite.» Sur le procès en confusionnisme fait à son média depuis quelques jours sur les réseaux sociaux, il répond : «On essaye de faire parler tout le monde. On a essayé de créer un terrain neutre, pour que les gens échangent.»

Il ajoute : «Notre souci, c’est d’écouter tous les points de vue. Quelques jours après avoir reçu Laurent Obertone, on avait reçu Frédéric Penard, directeur des opérations de SOS Méditerranée, association européenne de sauvetage en haute mer. Mais ça, personne n’en parle.» Puis : «Ensuite, c’est aux gens de se faire leur propre opinion ; les gens peuvent juger par eux-mêmes.» C’est même cette vision des choses qui serait à l’origine du succès de la chaîne, selon son cofondateur : «Pourquoi a-t-on un si grand succès ? Parce qu’on ne prend pas les gens pour attardés, ou des gens qu’il faut éduquer, nous ne portons pas de discours moralisateur. Quand une personne travaille toute la journée, qu’elle rentre le soir crevée, et qu’elle a encore la capacité de s’informer, elle n’a pas envie de se faire moraliser.»

Pendant chacune des interviews, diffusées pour la plupart en direct, les internautes sont d’ailleurs invités à «fact-checker» l’invité. Ce fut notamment le cas pour Laurent Obertone, contredit sur plusieurs points lors de son passage chez ThinkerView.

Mise à jour du 4 septembre 2019 à 9h et 11h : ajout de deux phrases, suite à la réaction de plusieurs internautes sur Twitter après la publication de ce papier : «Mais d’autres personnes, suite à la publication de cet article, assurent également avoir été bloqués par le même compte, alors qu’ils ne disent ni anarchistes, ni de gauche radicale» et : «Ce chiffre a fait réagir plusieurs personnes sur Twitter, suite à la publication de cet article, qui affirment que ces blocages remontent à plus longtemps.»

Robin Andraca

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