Les inégalités entre femmes et hommes perdurent alors même que, l’affaire est entendue, les hommes passent désormais l’aspirateur ou revendiquent le droit d’aller chercher leurs enfants à la sortie de l’école. Au-delà d’évolutions notables, certains fondamentaux demeurent donc que la notion de genre permet d’éclairer.

La nature vous dis-je

Il était une fois, il y a fort, fort longtemps… Parce que les femmes enfantaient, elles restaient dans la caverne pour s’occuper des enfants, tandis que les hommes partaient chasser afin de subvenir aux besoins de la communauté. Voici donc une vérité posée comme incontestable, puisqu’elle se fonde sur une réalité naturelle : ce sont bien les femmes qui accouchent des enfants. Une vérité qui a le grand avantage de naturaliser une réalité sociale, en l’occurrence la division sexuée et, plus précisément, la domination des femmes par les hommes, ainsi que la définition du pouvoir comme naturellement masculin.

Une vérité que l’on retrouve dans toutes les sociétés humaines. Une vérité qui a le mérite de mettre à jour l’un des fondamentaux des sociétés humaines consistant à invoquer la nature pour garantir la légitimité de leurs constructions, dont celle du pouvoir. Sachant que cette légitimité « naturelle » du pouvoir n’en réclame pas moins mise en scène, représentations et attributs, comme l’illustrent par exemple la « cour du Roi Soleil » dans sa version éclatante, ou le constat « le roi est nu » dans sa version critique du conte d’Andersen « Les habits de l’empereur ».

J’en peux plus

« J’en peux plus, j’ai pas les codes, eux (les hommes) font affaire en 5 minutes » m’annonce une femme au début d’une séance de coaching. D’où vient ce sentiment d’épuisement ? « Je suis perdue » me répond-elle. Quels sont ces codes qu’elle n’aurait pas ? « Ils (les hommes) sont solidaires entre eux, mais moi je n’en fais pas partie » précise-t-elle. Un sentiment de rejet ou de place introuvable exprimé, qui rappelle le paradoxe des femmes côtoyant les sphères du pouvoir, puisqu’elles entrent dans un univers défini comme naturellement masculin, autrement dit un univers fondé sur leur exclusion.

Comment dès lors faire partie d’un univers qui par nature vous exclut, y compris indépendamment de la bonne ou mauvaise volonté de chacun.e ? Laisser son « identité » de femme à l’entrée ou au contraire « être » une femme ? La construction même de cette alternative a toutes les chances d’être épuisante. Car viennent alors les interrogations sur le trop ou pas assez (féminine) ou, par exemple, l’hypothèse d’un exercice du pouvoir féminin (en miroir d’un exercice du pouvoir masculin), ce qui revient à essentialiser les femmes (et les hommes d’ailleurs), à les ramener non pas à des construits sociaux mais à des natures, c’est-à-dire à rendre tout changement impossible.

C’est quoi votre genre ?

De Romulus et Rémus à Tarzan, en passant par Mowgli, le mythe de l’enfant sauvage fascine, car il interroge ce que seraient une nature humaine ainsi qu’une nature des sociétés humaines. Or ces réalités sont par nature sociales, ce dont témoignent ces récits eux-mêmes et, plus globalement, la diversité et les transformations des sociétés humaines dans le temps et l’espace.

Chaque société, groupe social, collectif définit en effet un ordre, des mécanismes de pouvoir, des modes de production et de relation, des systèmes de pensée donnant sens et valeurs… qui apparaissent d’autant plus vrais et incontestables qu’ils sont posés et vécus comme naturels. Cela vaut également pour le biologique, en particulier les identités sexuées, la notion de genre venant marquer la distinction entre sexe social et sexe biologique, c’est-à-dire poser que le sexe social – le genre – est construit et arbitraire. Le genre est donc à la fois une réponse et une question. Une réponse, car il met à jour la construction sociale des identités et rapports sexués – ou genrés –, leurs déclinaisons et représentations, par exemple via les modèles de féminité et de virilité. Et une question, car il s’agit de savoir ce que nous faisons de cette réalité sociale, en particulier si nous faisons partie de celles ou ceux qui éprouvent certaines difficultés – subies et/ou revendiquées – à se reconnaître dans les assignations que cette réalité sociale impose.

Représentations en tout genre

Les représentations genrées ont le grand avantage (ou inconvénient) de se décliner dans l’ensemble des champs sociaux, de la parenté, du travail, du pouvoir, des connaissances, des idéologies… chaque personne étant invitée à construire sa vision et son expérience de la manière dont ces représentations genrées opèrent.

Isabelle Kocher, par exemple, avance « je ne me suis jamais posé la question du genre jusqu’à ce que… », ayant le bon capital social, suivi les bonnes études et réalisé le bon parcours, elle constate, un an après sa nomination au poste de directrice générale d’Engie, qu’elle a été scrutée sous toutes les coutures afin « de dresser un portrait-robot de La Femme dirigeante », alors que l’on n’interroge pas celui de « L’Homme dirigeant ». De même, un ouvrage intitulé, un brin provocateur, « La femme parfaite est une connasse », pose l’imperfection comme nouveau modèle, ou comment réussir à être parfaitement imparfaite.

Sans oublier bien sûr les inégalités de salaires, le temps partiel subi, la moindre légitimité des femmes – « quand une femme explique, c’est professoral, quand un homme explique c’est brillant » –, l’invisibilité des femmes dans les médias, les constats imparables du type « elles n’osent pas » ou « c’est la compétence qui compte avant tout ». Ou bien les catalogues de jouets et autres outils marketing et publicitaires, fervents promoteurs des représentations genrées. Ou encore les violences dont les femmes sont l’objet.

Face à ces constats, s’agit-il de se centrer sur des actions visant la prise de conscience et les changements de comportements ? S’agit-il de transformer la conception que nous avons de notre identité, de nos relations, de l’autre, du monde, du fonctionnement de notre société ?

On fait quoi ?

La notion de genre s’est constituée en terrain privilégié de réflexion contribuant à démontrer la manière dont les sociétés humaines construisent et légitiment les rapports sociaux de pouvoir et les inégalités sociales, qu’ils soient de genre, de race ou de classe. Cette notion s’est également posée en terrain de militantisme – en particulier autour du mouvement LGBT, rejoignant sur certains points celui du féministe –, un militantisme qui combat l’enfermement dans des catégories du féminin et du masculin, et vise la fin des divisions et hiérarchies genrées.

Le genre fait ainsi écho à un idéal démocratique prônant l’égalité de tou.te.s. Reste alors à savoir quelles valeurs et quel sens nous donnons à cet idéal, autrement dit dans quel horizon politique nous choisissons d’en dessiner la perspective.

Ce qui implique, pour les sociétés humaines, de construire de nouvelles manières de faire société, nous renvoyant, somme toute, au propre des humains qui, à la différence des autres espèces sociales, ne vivent pas seulement en société mais produisent de la société pour vivre. Ce qui induit également, pour les entreprises, a minima de répondre aux nouvelles (pas si nouvelles) règles légales et attentes sociales, voire de se constituer en terrain d’expérimentation d’une diversité, dans le travailler ensemble, qui soit, selon un terme que ces entreprises aiment tant, porteuse d’innovation. Gageons que les prochaines années pourraient sur ce sujet nous réserver quelques – bonnes – surprises…

Cet article est initialement paru dans la Newsletter SFCoach n°59 de septembre-octobre 2018.

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