Quelles différences entre le rebelle, le révolutionnaire et le résistant ? Explications par Sophie Wahnich historienne de la révolution française.

Le rebelle est étymologiquement celui qui recommence la guerre (bellum). Vaincu d’un conflit encore frais, il refuse la victoire de son adversaire, ne se soumet pas aux accords qui ont permis le retour à la paix.

Les révolutionnaires français ne s’y sont pas trompés. Ceux qui rouvrent les hostilités sont les contre-révolutionnaires. En 1789, les émigrés veulent le retour de l’Ancien Régime. En 1790, les prêtres réfractaires les rejoignent. En 1792, le rebelle par excellence est le « roi traître », devenu « étranger » au sens politique du terme : « Celui qui se met en dehors de la cité. » Louis XVI est celui qui a fait semblant d’accepter la nation souveraine en lui prêtant serment. Devenu parjure, il est la première figure du rebelle.

Saint-Just l’affirme avec force dans son discours du 13 novembre 1792 : « Le pacte est un contrat entre les citoyens, et non point avec le gouvernement (…). Ces motifs (…) vous portent à ne pas juger Louis comme citoyen, mais à le juger comme rebelle (…). » Or le roi, rebelle à la nouvelle cité révolutionnaire instituée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’est du même mouvement à l’humanité. Se rebeller en 1792, c’est refuser le projet juridique de fonder les règles d’une humanité humanisée, humaine.

« REBELLE », « RÉVOLUTIONNAIRE » ET « RÉSISTANT À L’OPPRESSION »

Robespierre, lorsqu’il rédige son projet de Déclaration, en avril 1793, reprend la démonstration. Extrait de l’article 26 : « Ceux qui font la guerre à un peuple pour arrêter les progrès de la liberté et anéantir les droits de l’homme doivent être poursuivis par tous, non comme des ennemis ordinaires, mais comme des assassins et des brigands rebelles. » Or ces brigands rebelles sont « les rois, les aristocrates, les tyrans, quels qu’ils soient », « esclaves révoltés contre le souverain de la terre, qui est le genre humain, et contre le législateur de l’univers, qui est la nature. »

Ce genre humain souverain et cette nature législatrice méritent aujourd’hui d’être explicités. Nul sénat général de la terre, mais une norme commune. L’usage de la raison en lieu et place de la force. Des droits qui viennent garantir la liberté réciproque et qui doivent fonder une humanité faite de semblables égaux. Nul ne doit dominer ou être dominé.

Mais cela conduit-il à affirmer que, face aux nouvelles institutions révolutionnaires, il n’y aurait qu’à se soumettre ? Eh bien, oui et non. C’est alors qu’il nous faut entendre quelle différence ces grands théoriciens du politique que sont ces législateurs de l’an II ont mise entre être « rebelle », « révolutionnaire » et « résistant à l’oppression ». Le premier s’oppose à la Révolution en étant rebelle aux droits de l’homme et du citoyen ; le deuxième fait son métier de citoyen en activant ces droits ; le troisième empêche les gouvernants de faillir en prenant la responsabilité de résister quand ces derniers ne respectent pas ces mêmes droits.

On comprend que les membres du peuple souverain révolutionnaire n’aient pas besoin d’être rebelles : disposant du pouvoir et de ses instruments, ils peuvent les récuser. L’article 15 montre que le pouvoir exécutif leur est subordonné : « Le peuple est le souverain : le gouvernement est son ouvrage et sa propriété, les fonctionnaires publics sont ses commis. » L’article 24 leur donne l’outil qui garantit l’effectivité juridique de cette puissance populaire quand il y a péril et que l’exécutif viole les droits du peuple. « La résistance à l’oppression est la conséquence des autres droits de l’homme et du citoyen. »

Certes, si l’on suit la déclaration de Robespierre, en partie reprise dans celle de 1793, le citoyen doit se soumettre à la loi : « Article 21. Tout citoyen doit obéir religieusement aux magistrats et aux agents du gouvernement, lorsqu’ils sont les organes ou les exécuteurs de la loi. » Mais l’article 6, bien en amont dans le texte, avait pris soin d’indiquer : « Toute loi qui viole les droits imprescriptibles de l’homme est essentiellement injuste et tyrannique : elle n’est point une loi. » Que faire alors face à des lois qui ne sont pas des lois ? Non pas se rebeller pour faire revenir l’Ancien Régime, mais bien résister à l’oppression du gouvernement. Cette résistance est donc ce qui permet de garantir que les lois sont des lois et non des actes tyranniques. C’est pourquoi « nul n’est censé ignorer la loi », quand elle est faite, mais aussi quand elle se prépare. Une loi qui ne serait pas débattue, scrutée dans ses conséquences et dans ses prémices, aurait peu de chances d’être une vraie loi.

BRAVES ET INSOUMIS

Au lendemain de la Révolution française, le rebelle est devenu romantique. Il s’oppose à la société bourgeoise produite par l’avatar révolutionnaire et reven­dique soit une société aristocratique, comme Chateaubriand, soit une nouvelle prise en compte du souverain populaire, comme Victor Hugo. Une confusion s’installe alors entre le rebelle, le résistant et le révolutionnaire. Tous sont braves et insoumis. Aucun ne se satisfait de l’état du monde.

Depuis lors, le rebelle a ainsi englobé le côté gauche et le côté droit. Dans notre imaginaire, il a supplanté le révolutionnaire et le résistant, faisant de la capacité à s’opposer une valeur individuelle en soi. Inutile désormais d’interroger ce que le rebelle dit de la justice et de l’humanité à protéger. Il est devenu l’individu libre et donc digne, quel que soit son combat. Notre société affectionne les rebelles et, pourvu qu’ils sachent bien écrire ou parler, relativise leur possible haine de l’égalité, de l’humanité une et de la justice. Le rebelle fascine.

Pourtant, aucun résistant de la seconde guerre mondiale n’aurait pu se penser comme simple individu rebelle, car c’est toujours au nom de la cité et de l’humanité qu’il légitimait son action menée au sein d’une armée patriote. Ainsi, la question qui se pose à nous encore aujour­d’hui est-elle bien la suivante : avons-nous davantage besoin d’une éthique de l’individu rebelle ou d’une éthique révolutionnaire de la résistance à l’oppression ?

Sophie Wahnich

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