C’était intéressant d’être interviewée sur ce thème permettant de rappeler la puissance des codes sociaux y compris face aux enjeux du réchauffement climatique.
Le costume-cravate reste un code social profondément ancré dans nos habitudes de travail… même en pleine canicule. Une aberration énergétique pour certains chercheurs.
“La cravate, c’est l’homme ; c’est par elle que l’homme se révèle et se manifeste”, écrivait Balzac, dans la Physiologie de la toilette (1830). Depuis, les moeurs ont changé mais de nombreux hommes sont toujours contraints de porter la cravate au travail. Selon un sondage réalisé par OpinionWay en 2015, 41% des Français doivent respecter un certain “dress code” en entreprise. Pour beaucoup, il s’agit du costume, de la cravate, des chaussettes et des chaussures fermées… Qu’il fasse 10 comme 40°C. Mais qui dit costume en pleine canicule dit également forte climatisation dans les bureaux pour assurer un minimum de confort aux salariés.
Or, en ville, l’air conditionné génère une augmentation de la consommation d’électricité et des émissions de gaz à effets de serre. En 2021, la climatisation était responsable de près de 5% des émissions équivalent CO2 du secteur bâtiment français, d’après l’Ademe. “Cela va amplifier l’effet d’îlot de chaleur urbain et favoriser notre confort au détriment de celui des autres ; ceux qui n’ont pas la clim'”, résume la climatologue Valérie Masson-Delmotte. L’air conditionné a également pour effet de rejeter de la chaleur à l’extérieur. D’après une étude publiée en 2019 dans la revue scientifique Nature communications, en ville, la climatisation entraîne en moyenne une hausse de la température entre 1 et 1,5°C comparée à celle des campagnes avoisinantes.
Le “cool biz” japonais
Le président de la République a annoncé, le 14 juillet dernier, un “plan de sobriété énergétique” dont le but est de réduire de 10% notre consommation d’énergie par rapport à 2019, d’ici 2024. Après les supermarchés et les administrations publiques, plusieurs centaines de milliers d’entreprises, regroupées au sein du Conseil du commerce de France et de la Confédération des commerçants de France, se sont ainsi engagées à réduire leur consommation énergétique. Eteindre les enseignes lumineuses dès la fermeture du magasin, baisser l’intensité de la lumière avant l’arrivée du public et la température ambiante dans les points de vente… Plusieurs décisions ont été prises pour atteindre l’objectif souhaité par le gouvernement. Elles promettent aussi de veiller à fermer les portes extérieures des magasins en présence de chauffage ou de climatisation.
L’air conditionné est un “levier important”, confirme Valérie Masson-Delmotte, surtout en été où elle est très utilisée. Mais comment s’en passer ? Un semblant de réponse a été trouvé au Japon, dès 2005. En été, les hommes sont appelés à faire tomber la veste et la cravate au profit d’une chemisette et d’un short. L’objectif du mouvement, baptisé “cool biz” ? Maintenir la température de l’air conditionné à 28°C sur les lieux de travail. D’après les chiffres du gouvernement nippon, en 2006, cette campagne a permis de réduire les rejets de dioxyde de carbone de 1,14 million de tonnes, soit l’équivalent des émissions de CO2 d’un million de foyers pendant un mois.
En France, le “cool biz” serait “envisageable”, selon Inès Bouacida, chercheuse Climat-Energie à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDR). Déjà, en 2019, François de Rugy, ancien ministre de la Transition écologique et solidaire, s’était affiché avec le col de chemise dénoué sur les plateaux de télévision pour “montrer l’exemple”. “L’effet pervers [de la canicule] qui est compréhensible, c’est de pousser les climatisations. Mais si on les pousse, on consomme encore plus d’énergie et, en quelque sorte, on aggrave le phénomène du réchauffement climatique”, s’était justifié l’ex-président de l’Assemblée nationale au micro de BFMTV. Ce prémisse de la version française du “cool biz” est “positif” selon la chercheuse à l’IDDR, qui appelle au bon sens collectif : “par exemple, climatiser à 26°C au lieu de 22 permet de diminuer la consommation d’énergie de l’appareil de moitié.” 26°C, c’est d’ailleurs la température en-dessous de laquelle il est interdit de climatiser dans certains locaux, d’après le Code de l’énergie. “Un accord européen a été conclu le 26 juillet pour réduire la consommation de gaz de 15% à l’hiver prochain. Pour atteindre cet objectif, il va falloir modifier nos habitudes à très court terme”, prévient la spécialiste.
Les codes sociaux encore puissants
Et c’est bien là le problème, comme l’explique Marie Rebeyrolle, docteure en anthropologie sociale : “Dans certains cas, les codes sociaux sont plus forts que la loi.” Le costume cravate en est un parfait exemple puisque la norme persiste, même en pleine période de canicule. “Le Code du Travail n’empêche pas un homme de venir en chemisette, constate-t-elle. En revanche, les codes sociaux interdisent formellement à un homme d’aller dans certaines entreprises en short.”
Comme on intègre un code social, on peut aussi s’en détacher. Mais avant que le short et la chemisette soient considérés comme des codes de bon goût en entreprise, il y a un peu de marge, regrette l’experte du monde de l’entreprise. “Les codes vestimentaires n’ont rien à voir avec les aspects pratiques, y compris en termes de confort et encore moins en termes écologiques”. Les femmes, elles, se posent beaucoup moins la question, notamment en période de fortes chaleurs. Au bureau, il arrive même qu’elles doivent se couvrir pour supporter la climatisation.