Dans son dernier livre, le philosophe propose une traversée de l’année 1938 à partir des préoccupations politiques de l’année 2018, un aller-retour incessant entre le passé et le présent.
Livre. Tout philosophe est un peu Candide. Et la philosophie naît de l’étonnement. Davantage kantien que voltairien, Michaël Foessel s’est laissé envahir par l’année 1938 et surprendre par ses analogies avec 2018. Ce penseur noctambule, qui a consacré un ouvrage à la fois savant et entraînant à la vie nocturne (La Nuit. Vivre sans témoin, éditions autrement, 2017), a été « hanté » par 1938 et ses « spectres ». Le philosophe avoue sa candeur : « J’ai rencontré 1938, je n’en ai pas fait l’étude. » L’auteur explicite sa « méthodologie » : la consultation quotidienne des journaux d’époque, de Je suis partout au Populaire, disponibles sur les sites Retronews et Gallica. Et expose son parti pris : « Je voulais comprendre, pas expliquer. »
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Les échos sont, selon lui, saisissants. En 1938, la défaite est « sociale » : le gouvernement d’Edouard Daladier veut « remettre la France au travail », après la parenthèse du Front populaire, réforme le code du travail et limite drastiquement le nombre de fonctionnaires. En 1938, la défaite est « morale » : la crise des réfugiés met au jour la faillite de l’humanisme politique, comme l’illustre l’errance du Saint-Louis, un bateau de réfugiés juifs parti de Hambourg en 1939 en direction de Cuba, qui peinera à trouver un port où accoster avant qu’une solution ne soit – in fine – trouvée.
Une question de philosophie politique
L’histoire ne bégaie pas. Mais cette « collision virtuelle des années » a pour vocation de nous alerter sur les risques de « récidive ». Car nous n’assistons pas au « retour » des années 1930, précise Michaël Foessel, mais nous n’en avons pas fini avec la séquence historique qu’elles ont inaugurée. Les principes actifs de 1938 – politique libérale, régression sociale, repli national, mobilisation totale – sont encore là, même si Beyoncé a détrôné Maurice Chevalier et les réseaux sociaux supplanté la puissance des anciens journaux.
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Au fond, Michaël Foessel pose une véritable question de philosophie politique : « Qu’est-ce que l’essence de la modernité si elle a rendu possible les années 1930 ? » La réussite de l’ouvrage réside dans sa manière de nous faire revivre ses découvertes, de façon haletante, inquiète et raisonnée. Bien sûr, certains historiens jugeront le parallèle partiel. Et le recours exclusif aux sources éditoriales partial. Mais l’auteur a le mérite de vouloir penser le présent, fut-ce à la lumière spectrale du passé. Car, comme le dit Georges Bernanos, « ce n’est pas nous qui revenons sur le passé, c’est le passé qui menace de revenir sur nous ».
Michaël Foessel, Récidive, PUF, 192 pages, 15 euros.