Le nouveau programme politico-people de M6 “Ambition intime”, “une émission de fille” selon son animatrice, fait polémique tout en battant des records d’audience.
Confidences sur canapé. Avec « Ambition intime », M6 et Karine Le Marchand veulent émouvoir les téléspectateurs. Un peu à la manière de « l’Amour est dans le pré » mais sans les agriculteurs. Car désormais, les invités de M6 sont des candidats à la présidentielle.
Pour la première de l’émission, dimanche soir en prime time, Nicolas Sarkozy, Bruno Le Maire, Arnaud Montebourg et Marine Le Pen se sont prêtés au jeu. Non sans succès. Le nouveau programme politico-people, rythmé de bruyants éclats de rire, de petites larmes et de blagues potaches, a réalisé un très beau score avec 14% de part d’audience soit 3,1 millions de téléspectateurs.
Ceci n’est pas une émission politique
Ce n’est pas une émission politique, martèlent ses créateurs. Officiellement, il n’est donc pas question de concurrencer l’Emission politique de France 2 – qui n’a réuni jeudi dernier que 2,5 millions de téléspectateurs.
La chaîne veut simplement dévoiler le revers des candidats à la présidentielle, leurs faiblesses, leurs fractures, leur humanité… « L’idée c’est qu’ils nous racontent leur histoire », assume l’animatrice, habituée des face-à-face pleins de bons sentiments.
Elle a d’ailleurs une façon bien à elle de qualifier sa cible : « C’est pour les gens qui ne regardent pas les débats politiques. C’est une émission de filles: c’est de l’émotion, de l’humain », résume t-elle.
Mais dans quel but ? « Début 2016 », Karine Le Marchand est « venue à la direction [de M6] », disant « vouloir traiter la politique autrement », a expliqué Vincent Régnier, patron des magazines de M6, lors d’une projection d’extraits de l’émission auprès de blogueurs, dimanche.
Inciter les gens à aller voter
« Ambition intime » permettrait d’intéresser les Français à la politique, selon Karine Le Marchand. Voire les inciter à aller voter. « Jacques Chirac n’a pas été élu pour son programme. On l’a élu parce qu’il était sympa et qu’il mangeait des pommes », explique- t-elle.
Mais pour les sondeurs, le but de Karine Le Marchand pourrait bien être un voeux pieu. Yves-Marie Cann, directeur des études politiques à l’institut de sondage Elabe, a ainsi « de sérieux doutes » quant à « la capacité d’une telle émission à faire changer la représentation qu’ont les Français d’un candidat politique », révèle t-il. « Les images qu’on a de ces personnages sont déjà extrêmement constituées. ”
Ce qui ressort aussi des réactions sur Twitter. Peu d’internautes semblent très dupes des performances des candidats.
« Rien n’est laissé au hasard. Il ne faut pas se leurrer, tout est mis en scène et le candidat laisse voir ce qu’il accepte de montrer », souligne Yves-Marie Cann. « Ca ne veut pas dire que tout est faux », insiste t-il, mais l’émission est le « cadre d’une communication parfaitement maîtrisée. »
Vive polémique
Si personne ne croit vraiment aux confidences des candidats, l’émission a toutefois suscité beaucoup de réactions. Les journalistes et politiques ont, dans l’ensemble, dénoncé le programme.
Patrick Cohen se moque des musiques choisies en bande sonore
Jean-Marc Ayrault, ministre des Affaires étrangères, s’en est ému lui aussi : « C’est assez consternant. On se moque de la politique américaine, mais on est en train de vouloir la copier », a t-il critiqué sur France Inter.
Même son de cloche du côté de l’ancienne ministre de droite Roselyne Bachelot, « totalement contre » le concept de l’émission.
Pour Virginie Spies, universitaire spécialiste des médias, « on est sous le règne de l’émotion et on laisse sous-entendre que celui qui verse sa larme remportera éventuellement plus de suffrages ». « Ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour la démocratie “, juge-t-elle.
« Ce qui fait polémique, c’est l’égalité de traitement entre des candidats comme Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen », révèle Yves-Marie Cann. Car forcément, à vouloir les montrer « humains », l’émission renforce leur capital sympathie.
Le billet de Sophia Aram
Toutefois, le sondeur rappelle à quel point « le discours politique » est « prépondérant » par rapport à ce genre d’exercice « qui joue la carte de l’intime ». « Entre les interviews au 20h, à la radio, sur France 2, les tribunes dans les journaux, le programme et la visée politiques du candidat restent majoritaires dans les prises de parole », souligne Yves-Marie Cann.