500 000 résultats sur Google lorsque l’on recherche « risques psychosociaux », cela pose le sujet : vaste. Et aussitôt des verbes surgissent : « gérer », « prévenir », « évaluer »… Nous sommes bien dans le registre gestionnaire.

Nouveaux mots pour de vieux maux ?

Sur ce sujet des « risques psychosociaux », il paraît difficile de ne pas osciller entre une impression de « déjà-vu » – un nouveau terme pour désigner les liens et l’impact de l’organisation du travail, des relations et des identités qui s’y jouent – et la nécessité de nommer autrement ce qui viendrait caractériser la reconfiguration actuelle de ces liens et impact.

Il est en tout cas certain que cette nouvelle appellation indique la manière dont les directions, poussées par le monde politique et plus globalement la sphère sociale, prennent dorénavant en considération ce sujet et la façon de le traiter. Une manière d’avancer que l’on ne peut pas – plus ? – le laisser s’épanouir et qu’il faut lui appliquer le même traitement que celui imposé à tout objet de risque : sécuriser. De là à faire resurgir la métaphore guerrière, il n’y aurait qu’un pas que certains n’hésiteraient à franchir, agresseurs et victimes constituant le nouveau contingent des entreprises et les figures ultimes de l’individu performant – pervers ? – des années 90, nous renvoyant à la célèbre formule « l’homme est un loup pour l’homme » du Hobbes précédant le « Contrat social » de Rousseau.

Un nouvel Eldorado ?

La législation étant passée par là, toutes les organisations doivent se doter d’un dispositif de prévention et de gestion des « risques psychosociaux ». La réponse apportée est alors simple : informer et former bien sûr. Des cabinets de conseil et de formation s’en sont ainsi fait une spécialité, d’autres l’ont ajoutée à leur expertise. Quel prestataire d’ailleurs oserait dire qu’il n’a aucune offre à proposer sur ce sujet brûlant ?

Et pourtant, à regarder de plus près le déroulement de ce type d’action, force est de constater qu’il répète souvent le mode de fonctionnement de l’organisation en place qui devient l’objet d’un secret partagé dans un silence assourdissant. Les dirigeants avancent ainsi qu’ils ne managent pas d’équipes (ce sont leurs managers qui le font) et ne sont donc pas concernés. Quant aux managers, en particulier « de proximité », ils s’efforcent de tenir à distance le spectre d’une responsabilité – à moins qu’ils ne sombrent dans une culpabilité morbide – affirmant haut et fort qu’ils font ce qu’ils peuvent, qu’ils n’ont pas défini les objectifs et la stratégie – ce qui est vrai – et qu’il n’y a ni stress ni « risques psychosociaux » particuliers dans leur équipe – bien managée – mais tout au plus certains collaborateurs mal dans leur peau, fragiles ou simplement retors qui utilisent ce nouvel argument mis à leur disposition afin de refuser le changement, la pression ou tout simplement l’autorité. Sachant qu’en bout de chaîne, les collaborateurs découvrent, eux, que ce qu’ils vivent est contradictoirement l’objet de toutes les attentions – momentanées – et un véritable danger dont ils seraient les victimes autant que les porteurs (sains ?).

Mais qu’à cela ne tienne, ces actions d’information et de formation sont réalisées et l’entreprise s’est mise en conformité avec la loi. Le positionnement et les rapports de force entre les différents acteurs ont été rejoués, l’organisation et les relations de travail s’en sortent sans dommage – dans une répétition et une éviction tacitement reconduites de la dynamique systémique à l’œuvre ainsi que l’évacuation tout aussi tacitement reproduite des questions du sens et de l’éthique – et certains cabinets ont au passage développé leur business.

Dans cet esprit d’ailleurs, il y a fort à parier qu’après les « risques psychosociaux » « le management de la diversité » soit en passe de fortement se développer dans les organisations et l’offre des cabinets de conseil et de formation… D’autant que cette thématique ne recouvre pas moins de 18 items si l’on en croit la « Charte de la diversité en entreprise » (origine ; sexe ; mœurs ; orientation sexuelle ; appartenance ou non-appartenance vraie ou supposée à une ethnie, une nation ou une race ; opinions politiques ; activités syndicales ou mutualistes ; convictions religieuses ; apparence physique ; patronyme ; état de santé ; handicap ; état de grossesse et âge). Champ d’items si vaste et disparate qu’il ferait pâlir de perplexité l’anthropologue le plus aguerri dont l’auteure de ces lignes, à moins bien sûr d’être posé et analysé en tant qu’objet anthropologique.

Coaching du risque ou coaching à risque ?

Dans ce contexte de gestion des « risques psychosociaux », un coaching est généralement demandé pour accompagner un dirigeant « à risque », pour lui-même ou pour ses collaborateurs, ce qui se rejoint d’ailleurs. Deux exemples.

Jean, 45 ans, dirige l’activité logistique de l’une des 4 régions françaises d’un Groupe international. Expert, loyal, engagé, il se retrouve coaché « par la force des choses » dans la mesure où la direction a décidé de faire coacher tous ses directeurs logistique à l’occasion d’une réorganisation Groupe. Nous démarrons son coaching par un travail sur son animation d’équipe, sa posture, ses enjeux… pour très vite aborder des sujets plus frappants tels que les « blessures » qu’il arbore au gré des séances : œil tuméfié par un virus obscur, cheville foulée, bras en écharpe… autant de blessures que Jean considère comme anecdotiques et ne méritant ni que l’on en discute, ni bien sûr un quelconque arrêt de travail. Comment, en effet, se mettre en congé alors même qu’il passe le plus clair de ses vacances à aller travailler ?

Et pourtant, au fil des séances, une prise de conscience se fait jour progressivement : et si le corps parlait ? Et si le corps racontait la violence que Jean s’inflige ? Jusqu’à une séance où il aborde, gêné mais s’allégeant d’un poids, le fait que l’un de ses collaborateurs est mort un an plus tôt d’une crise cardiaque sur son lieu de travail et qu’il ne peut s’empêcher de se sentir responsable. Une façon d’ajouter de la culpabilité à la culpabilité ou bien de constater les effets, sur un autre, de sa propre violence ? Une façon en tout cas d’entrevoir autrement la question du « harceleur » et du « harcelé »… Or l’entretien tripartite amont n’avait aucunement identifié de « risques psychosociaux », comme si les blessures régulières de Jean – accentuées il est vrai par le coaching – ou la crise cardiaque de son collaborateur ne posaient pas problème. S’agissait-il donc d’un coaching à risque car ouvrant une boîte de Pandore que personne ne souhaitait voir ouvrir, dans un déni du risque que ce coaching allait révéler et devrait de fait travailler ?

A l’inverse, je suis requise pour coacher Marc, 53 ans, directeur d’une BU française d’un Groupe international, car « son comportement autoritaire induit des tensions insupportables chez ses collaborateurs qui démissionnent en chaîne ». L’entretien tripartite amont définit alors comme objectifs prioritaires un « changement de posture » et « la nécessité de passer d’un management autoritaire à un management plus collaboratif », les « colères » de ce dirigeant étant fameuses. Au fil des séances, Marc alterne ainsi des phases de refus catégorique – il a d’excellents résultats et ses méthodes sont donc efficaces – et des phases de séduction – il s’efforce d’être un « bon élève », un « bon coaché » – me narrant des séances de jogging pratiquées avec certains de ses collaborateurs, des situations où il a réussi à ne pas s’énerver face à l’« incompétence » de membres de son codir, ou encore son désir de prendre de la distance et le temps de vivre. Se retrouve-t-il progressivement pris par le jeu ou à son propre jeu ? Toujours est-il qu’à la fin du coaching il s’octroie dorénavant le temps de déjeuner, a renoncé à contrôler en permanence le travail de ses n-1 et arrive bronzé à l’entretien tripartite de bouclage. S’agissait-il donc d’un coaching du risque se révélant peu risqué, sinon pour Marc de se risquer à plus d’espace et à jouer autrement sa partition de dirigeant ?

Risquer sa vie ou risquer la vie ?

Le coaching n’est pas sans risque… d’une remise en question tous azimuts de soi-même, son image, ses représentations, son environnement, son entreprise… d’une acceptation de ses forces et points de fragilité… du choix d’un certain confort ou inconfort… du développement d’une agilité dans les jeux relationnels et de pouvoir, de l’affirmation de son ambition ou absence d’ambition… Risque pour le coaché, le commanditaire, le coach aussi…

Ce qui se joue dans le coaching pourrait alors venir nous éclairer sur ce que le terme de « risques psychosociaux » vient stigmatiser : une tension au quotidien entre risquer sa vie ou risquer la vie, un combat ordinaire dans lequel tous ne jouent pas avec les mêmes cartes.

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