Il ne se passe pas une semaine à Hollywood sans qu’une actrice de renom grogne. Sur le thème, l’usine à rêves est sexiste. Elle nous paie moins que les hommes, nous jette à 40 ans, nous cantonne dans des rôles de cruches sexy.
On a entendu Cate Blanchett, Gwyneth Paltrow, Meryl Streep, Robin Wright, Kristen Stewart, Jessica Chastain, Patricia Arquette, Sandra Bullock, Jennifer Lawrence et beaucoup d’autres encore. La dernière : Geena Davis. Pas n’importe qui. Elle formait avec Susan Sarandon le tandem d’enfer du road movie Thelma et Louise (1991), de Ridley Scott, film culte du féminisme. Le 26 octobre, sur le site américain The Daily Beast, elle écrit : « Vous croyez que les choses changent à Hollywood ? Je suis bien placée pour vous dire que non. » Bien placée, pour avoir lancé en 2006 un centre de recherche sur la place des femmes à Hollywood. Son truc, ce sont les chiffres. Et ils sont effarants.
En gros, les rôles masculins sont dominants – trois contre un rôle féminin –, et cela n’a pas bougé depuis 1946. Sans compter que le personnage féminin n’est souvent qu’« un bonbon pour les yeux », écrit Geena Davis. Autre donnée troublante : quand une foule est convoquée à l’écran, et même pour un dessin animé, on n’y compte que 17 % de femmes. Il paraît que les décideurs d’Hollywood sont tombés des nues quand Geena Davis leur a montré ses chiffres. Ces derniers ont plutôt l’oreille sourde et l’œil aveugle. Les Etats-Unis sont en effet un pays où la question du genre est centrale et la sociologie d’Hollywood épluchée – bien plus qu’en France. Aussi The American Civil Liberties Union (ACLU), l’une des principales organisations de défense des libertés publiques, a appelé, en mai, le gouvernement à combattre le sexisme d’Hollywood. Avec ses propres chiffres, dont celui-ci : sur les cent films les plus vus en 2014, deux seulement ont été réalisés par des femmes. « Hollywood estime qu’une femme ne peut pas diriger un film d’action », a confié un cadre de l’ACLU au magazine Time, le 12 mai.
Changement d’attitude
Le point le plus médiatisé reste l’argent. Attisé par deux événements. Le piratage informatique du studio Sony Pictures, en novembre 2014, a permis d’apprendre que Jennifer Lawrence, héroïne de Hunger Games, oscarisée pour Happiness Therapy (2013), a été moins bien payée que ses collègues masculins Jeremy Renner ou Bradley Cooper pour American Bluff (2014). A temps d’écran égal. Le deuxième événement est une loi californienne votée le 6 octobre visant à renforcer l’égalité salariale entre les hommes et les femmes. Beaucoup d’actrices se sont battues pour une loi qui sera effective au 1er janvier 2016.
Le changement d’attitude de Jennifer Lawrence est significatif. Quand elle a découvert, il y a un an, qu’elle gagnait moins que ces « gens qui ont le bonheur d’avoir un pénis », elle a surtout pensé qu’elle était une « piètre négociatrice ». Mais en octobre, elle s’est montrée bien plus offensive dans une lettre ouverte – qui a fait du bruit – publiée dans le magazine en ligne Lenny, de sa consœur Lena Dunham. Il est vrai qu’elle venait aussi d’apprendre, par le magazine Forbes, que si elle a été l’actrice la mieux payée au monde en 2014 avec 52 millions de dollars (47,5 millions d’euros), son homologue masculin, Robert Downey Jr., lui, avait engrangé 80 millions.
« Che Guevara féminine »
Jennifer Lawrence n’a pas la réputation d’être timorée. Mais d’autres actrices lui ont ouvert la voie depuis le début de l’année. Et d’abord Patricia Arquette, en février, qui, lors de la cérémonie des Oscars, où elle a été primée pour son rôle de mère qui lutte seule pour élever ses enfants dans Boyhood, a estimé que c’était « le moment pour les femmes de réclamer le même niveau de rémunération ». Ou la cinéaste Kathryn Bigelow, qui déclarait dans Time, le 12 mai : « La discrimination sexuelle stigmatise toute notre industrie. » Fin juillet, c’est Robin Wright, de la série House of Cards, qui, dans un entretien au London Evening Standard, appelait à l’apparition d’une « Che Guevara féminine ».
Les langues des stars intouchables se délient. Pour les autres, c’est plus dangereux. Rose McGowan a rapporté sur son compte Twitter que, pour un casting, on lui avait demandé de se présenter en « débardeur moulant noir (ou sombre) qui montre le décolleté (soutien-gorge push-up conseillé). Leggings ou jean moulant ». Quelques jours après avoir rendu publique cette note, son agent l’a virée. Aucune star n’a bronché. Dans Gala du 18 septembre, Diane Kruger racontait, elle, que « l’acteur est toujours casté en premier. Et il a le droit d’approuver, ou non, sa partenaire. C’est dégueulasse ».
Ouvrons un autre front. Il est souvent demandé aux actrices, à l’écran, de s’éprendre d’un acteur qui pourrait être leur père. Sans que ce soit un élément décisif du scénario. Le site Vulture a publié le 1er juin des graphiques qui montrent comment Jennifer Lawrence, Scarlett Johansson ou Emma Stone tombent souvent sous le charme d’hommes mûrs. Pas nouveau. En 1942, dans Casablanca, Ingrid Bergman (27 ans) convolait avec Humphrey Bogart (43 ans). Mais la conséquence a été cernée par Maggie Gyllenhaal, qui a révélé en mai ce que lui a dit un producteur : à 37 ans, elle est trop vieille pour incarner la maîtresse d’un homme de 55 ans.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Les Américaines Clara et Julia Kuperberg travaillent à un documentaire pour montrer que ce sont des femmes qui ont créé Hollywood dans les années 1910 – avec gros postes et gros salaires. « Dans les années 1930, en pleine récession, les hommes se sont rendu compte qu’il y avait de l’argent à faire à Hollywood, et ont pris les places des femmes », racontent-elles dans un article publié le 22 juillet sur le site Cheek Magazine, sous un titre qui ressemble à celui d’un film de super-héros : « Le sexisme à Hollywood peut-il être exterminé ? » Pas gagné.