Le dernier rapport du Haut Conseil à l’égalité souligne l’écart entre la priorité affichée par le gouvernement et l’état de la formation des enseignants.

« Peut mieux faire », diraient les enseignants. En matière d’éducation à l’égalité entre filles et garçons, la gauche s’est, ces cinq dernières années, fermement engagée sur le plan des principes, mais pour un bilan encore limité. C’est en tout cas ce qui ressort du rapport sur la formation des personnels de l’éducation divulgué par le Haut Conseil à l’égalité (HCE), mercredi 22 février.

« Après deux ans d’enquête, d’auditions, de consultations, c’est un état des lieux en demi-teinte que nous rendons public », explique Margaux Collet, responsable des études au sein de cette instance consultative indépendante, en reprenant à son compte la formule de la chercheuse Isabelle Collet : « Enseigner est un métier qui s’apprend ; enseigner de manière égalitaire s’apprend également. »

Alors que les filles et les garçons continuent notamment en classe d’être évalués, considérés et in fine orientés différemment, former les enseignants à identifier les stéréotypes sexistes était pourtant l’axe sur lequel le gouvernement avait appelé à mettre l’accent, après l’abandon, à l’été 2014, des ABCD de l’égalité, un dispositif reposant principalement sur des ateliers à l’école primaire. « Je veux apaiser », soulignait alors Benoît Hamon, chargé durant son bref passage au ministère de l’éducation (d’avril à août 2014) de déminer la polémique sur la supposée « théorie du genre ».

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L’actuel candidat PS à la présidentielle revendiquait, à l’époque, la prudence : tourner la page de l’expérimentation des ABCD lancée dans quelque 275 écoles, et inscrire dans tous les établissements et sur le temps long, en misant cette fois sur la formation des enseignants, l’ambition d’une pédagogie égalitaire. Une stratégie de l’apaisement qui n’avait pas réussi à gommer le sentiment, quelques mois après l’abandon de la loi famille, que le gouvernement cédait du terrain face aux « tradis ».

« Déficit d’offres »

Deux années sont passées, et cette ambition, si elle a bien été gravée dans le marbre de la loi d’orientation sur l’école (2013), et élevée au rang de « priorité » par Najat Vallaud-Belkacem –passée par le ministère des droits des femmes avant de succéder à M. Hamon à l’éducation –, se concrétise encore modestement, explique le Haut Conseil à l’égalité. Seule la moitié des Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation sondées – qui ont remplacé les IUFM – sont capables de former les étudiants accueillis sur leurs bancs à débusquer les stéréotypes. Seule la moitié, aussi, propose un module consacré à l’égalité filles-garçons. Et encore, d’une académie à l’autre, les écarts sont manifestes : le volume horaire des formations dispensées varie de 2 heures à 57 heures annuelles.

Parmi les freins identifiés, le désintérêt des étudiants, le nombre insuffisant de formateurs, mais aussi la surenchère de missions assignées à l’école. Le HCE reprend à son compte le constat dressé par la chercheuse Sigolène Couchot-Schiex, pour qui « les problèmes sociétaux récents ont eu un effet hiérarchisant sur le sujet de l’égalité femmes-hommes, relégué au second plan derrière la laïcité et la lutte contre les discriminations raciales ». Une pluie de « priorités » dont les professeurs, sur le terrain, se font eux aussi l’écho, partageant le sentiment de « tanguer » d’une injonction à l’autre.

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En matière de formation continue, c’est aussi un « déficit d’offres » qui est décrit par les rapporteurs, avec trois journées sur ces questions recensées en 2014-2015, aucune en 2015-2016, et une, seulement, en 2016-2017, une participation « difficile à évaluer » et un contenu à cadrer. Les rapporteurs rappellent là encore « le risque de dilution de [cette] formation dans les modules portant sur la laïcité, les valeurs de la République, ou encore la lutte contre les discriminations ».

Parmi leurs nombreuses préconisations, un « portage politique fort ». Reste à savoir qui, parmi les candidats investis dans la course à l’Elysée, osera reprendre à son compte le concept de genre plutôt banni, ces derniers temps, de la novlangue politique.

 

L’école au prisme des inégalités

Quarante ans après que la mixité a été rendue obligatoire à tous les niveaux de la scolarité, trente ans après que l’éducation nationale a inscrit dans ses missions la promotion de l’égalité, un rapport des inspections générales a rappelé, en 2013, que « les stratégies des élèves sont largement influencées par leur appartenance de genre ». Le Haut Conseil à l’égalité (HCE) le dit autrement : « Etre fille ou garçon est encore un déterminant des parcours de formation, et donc du positionnement (…) sur le marché du travail et dans la société ». Le refrain est connu : en dépit de leurs résultats, les filles s’orientent moins vers des domaines considérés comme prestigieux. Sans nier l’influence familiale ou, plus largement, celle de la société, le HCE, s’appuyant sur les apports de la recherche, rappelle l’existence de « pratiques pédagogiques différenciées » : les enseignants ont en moyenne 56 % de leurs interactions avec les garçons et 44 % avec les filles, en sciences notamment. Ils mobilisent filles et garçons dans des objectifs différents, évaluent et apprécient différemment leurs comportements – l’indiscipline des garçons est tolérée, moins celle des filles. Les garçons sont aussi davantage sanctionnés.

Mattea Battaglia

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