Le tako tsubo, pathologie assimilable à « un burn-out cardiaque », a été identifié dans les années 1990 par les Japonais.

Si vous avez repris le chemin du travail, sachez qu’en plus d’une ribambelle de collègues hâlés et d’un carnet de Ticket Restaurant flambant neuf, une nouvelle pathologie vous y attend. Après le burn-out (consumation par excès d’investissement), le bore-out (exténuation par l’ennui) et le brown-out (anéantissement par la perte de sens), le tako tsubo ­intègre cette saison la longue liste des menaces plus ou moins diffuses pesant sur l’open space.

Prise de bec avec votre N + 1

La première originalité du tako tsubo est son nom, qui signifie « piège à poulpe » en japonais. Cela fait du bien de découvrir une nouvelle tendance – fût-elle si peu réjouissante – qui rompt avec la mode des anglicismes envahissants. Après tout, les travailleurs nippons sont tout aussi légitimes que les Anglo-Saxons en termes de mortification salariale.

La deuxième ori­ginalité de cette pathologie encore très mal connue est la façon dont elle se manifeste. Après un événement violent qui peut être, par exemple, une prise de bec avec votre N + 1, votre ap­pareil psychique ne réussit plus à gérer le trop-plein d’émotions, et ­ l’accumulation de stress se traduit par une soudaine dilatation du ventricule cardiaque ­ gauche, qui prend la forme d’un piège à poulpe (d’où son nom). Le cœur ­retrouvera au final sa forme normale, mais cet épisode traumatique laisse ­exténuée la personne qui en a été ­ victime, donnant à penser qu’elle vient de subir un infarctus.

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Profondément inégalitaire, le tako tsubo toucherait majoritairement les femmes d’un certain âge, et ne concernerait les hommes que dans 30 % des cas. S’il peut également être provoqué par une catastrophe naturelle, ce mal à l’intitulé de menu exotique trouverait un terrain d’épanouissement parfait dans la violence sourde des open spaces, au point qu’il pourrait être assimilé, d’après le cardiologue Romain Cador, à un « burn-out cardiaque ».

Déflagration intérieure

Dans son livre Le Tako Tsubo. Un chagrin de travail (à paraître le 27 septembre, Les Liens qui libèrent, 160 pages, 15 €), la journaliste Danièle Laufer a ­entrepris de mener une enquête intime sur cette déflagration intérieure qu’elle a connue un jour de 2014 et qu’aurait déclenchée une violente altercation avec une collègue. Si l’analyse est ­volontairement subjective (ce qui constitue sa limite), elle dit bien en revanche le caractère éminemment sentimental du tako tsubo.

La vie au bureau, sur ­laquelle on projette volontiers une forme d’idéal et de réalisation de soi, est ici envisagée sous l’angle de l’amour déçu. Dans une période où avoir un travail fait figure de privilège, le ressentiment accumulé au fil d’années de labeur insatisfaisant devient difficile à verbaliser et conduirait à cette phase de décompensation physique aussi inattendue que violente.

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Identifié pour la première fois dans les années 1990 au pays du Soleil-Levant, le tako tsubo porte d’ailleurs un autre nom qui résume bien cette relation extrê­mement romantique à notre propre supplice professionnel : le syndrome du cœur brisé.

Danièle Laufer, Le Tako Tsubo. Un chagrin de travail, Les Liens qui libèrent, 160 pages, 15 euros (à paraître le 27 septembre 2017).

Nicolas Santolaria

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